Depuis des décennies et des décennies, les statistiques sur l'emploi et le chômage font l'objet d'interprétations partisanes. C'est inévitable, parce que les emplois sont au coeur du débat politique. Créer des jobs reste le principal engagement de la plupart des partis, ici comme ailleurs, et l'incapacité de la plupart des gouvernements à en créer en nombre suffisant reste le thème de prédilection des partis de l'opposition.

Cette politisation a pris une forme particulière au Québec parce que Philippe Couillard, en campagne électorale en 2014, a fait la promesse irréaliste et indécente de créer 250 000 emplois dans un mandat de cinq ans. Il aura beau préciser qu'il s'agissait d'un objectif plutôt que d'une promesse, cela lui colle à la peau. Chaque mois, en général le premier vendredi du mois, quand Statistique Canada publie les résultats mensuels de l'Enquête sur la population active, quelqu'un brandira des chiffres pour rappeler qu'on est loin du compte.

On a donc droit à un rituel où le gouvernement met en relief les données positives - ou encore triture les chiffres et les interprète de façon créative - pour montrer qu'il fait bien son travail, tandis que l'opposition fait l'exercice inverse pour prouver que ça va mal.

Ce qui intéresse les gens, ce n'est pas ce ping-pong politique. Les données sur le marché du travail sont sans doute celles qui nous donnent l'idée la plus précise de la santé de l'économie. Les gens veulent avoir l'heure juste, savoir si l'économie se porte bien, si la situation s'améliore, s'il y a lieu d'être inquiets pour l'avenir.

C'est dans ce cadre que s'inscrit l'initiative de l'Institut du Québec (IdQ), le centre de recherche qui est en quelque sorte l'antenne québécoise du Conference Board du Canada, pour proposer un Indice de l'emploi, un baromètre qui tient compte de plusieurs variables et qui donnerait une idée plus juste de la situation réelle que les indicateurs le plus souvent invoqués dans le débat public, surtout le taux de chômage et la création d'emplois.

Il faut dire qu'il n'y a pas que l'interprétation partisane des chiffres qui pose problème, il y a les chiffres eux-mêmes.

Le marché du travail est complexe et ne peut pas se résumer en un seul chiffre. Pas plus que le score d'un match de hockey dit tout sur le potentiel des équipes ou que les calories suffisent à définir ce qui constitue une alimentation saine.

Le taux de chômage, par exemple, l'indicateur de loin le plus utilisé, ne tient compte que des personnes sans emploi qui cherchent du travail. Le taux de chômage global ne dit pas tout, non plus : les différences entre régions, entre groupes démographiques, surtout les jeunes, entre les sortes de chômage, chronique ou temporaire.

Quant à la création d'emplois, l'autre grande mesure, elle fluctue énormément d'un mois à l'autre, en partie parce que les données semblent fragiles. Tout dépend aussi des emplois créés, temps plein ou temps partiel. Mais surtout, tout dépend de la base de comparaison. Des emplois créés depuis quand ? Le mois dernier ? Il y a 12 mois ?

Prenez les chiffres pour 2016 rendus publics vendredi. La version optimiste consistera à souligner qu'il s'est créé 21 900 emplois en août - c'est vrai -, que c'est la plus grosse hausse mensuelle depuis octobre 2013 - encore vrai, quoique ce ne soit pas un tour de force après une longue période de léthargie -, que cela représente la quasi-totalité des emplois créés au Canada en août - toujours vrai, le total canadien est de 26 200. On pourra ajouter que le niveau d'emplois, 4 128 700, constitue un record plus historique - exact, bien qu'il soit normal que le nombre d'emplois augmente avec le temps en période de croissance.

La lecture pessimiste consistera à souligner que la création d'emplois depuis 12 mois, 33 600, est loin des 50 000 promis - exact -, que la hausse d'août sert en bonne partie à compenser les 15 200 emplois perdus les deux mois précédents - toujours vrai -, ou encore que, depuis janvier, il s'est créé 21 600 emplois à temps partiel et seulement 700 à temps plein - encore vrai, quoique si on compare plutôt à ce qui s'est passé depuis un an, en août 2015, la situation s'inverse, 31 200 emplois à temps plein et 2300 à temps partiel.

Ce qu'on peut dire, c'est qu'après une année de léthargie, le marché du travail s'est réveillé depuis mai, mais que cette remontée est inégale, avec des hauts et des bas, et qu'elle est encore trop récente pour savoir s'il s'agit d'une tendance durable.

L'Indice de l'emploi de l'IdQ permet d'aller plus loin. En fait, il s'agit de deux indices. Le premier porte sur la vigueur du marché du travail et tient compte de plusieurs variables - chômage, taux d'emploi des 25-54 ans, chômage de longue durée, emploi dans le secteur privé, taux d'activité. Cet indice décèle une bonne performance en 2015 et encore plus en 2016.

Par contre, le second indice, qui porte sur la qualité des emplois, est en baisse. Il tient compte d'indicateurs comme le travail à temps plein, la croissance de l'emploi bien rémunéré, le travail temporaire, les salaires, le travail à temps partiel involontaire. Mais ça ne règle pas tout, parce que là encore, ces indices peuvent être sujets à interprétation. J'ai par exemple noté que la baisse de la qualité de l'emploi reste faible, qu'elle est récente (l'automne dernier) et que cet indice reste bien au-dessus de ses niveaux de 2013 et 2014.

Mais il y a quelque chose de plus important qui influera sur nos guerres de chiffres : la démographie. Nous sommes arrivés au stade où, à cause du vieillissement, ceux qui partent à la retraite sont plus nombreux que les nouveaux arrivants. Cette baisse du bassin de travailleurs aura deux effets. D'abord, avec moins de gens à caser, il y aura moins de chômeurs et le taux de chômage aura tendance à baisser tout seul. Ensuite, la création d'emplois sera moins forte. Avec cette nouvelle réalité démographique, il faudra changer nos façons de débattre de chômage et d'emploi.