En politique, tout est dans le timing. La semaine même où les députés péquistes et caquistes veulent raviver l'indignation suscitée par la vente de Rona à une entreprise américaine, Alimentation Couche-Tard annonce qu'elle s'empare de la chaîne de dépanneurs américaine CST Brands, une transaction de 5,7 milliards de dollars canadiens.

Disons que ça a l'air un peu fou de déchirer ses vêtements pour la vente de Rona quand Couche-Tard, une autre entreprise québécoise, devient la plus grande chaîne de dépanneurs en Amérique du Nord, devant 7-Eleven.

C'est pourtant ce que les députés membres de la Commission de l'économie et du travail s'apprêtent à faire demain en se penchant sur « le processus ayant mené à la vente des actifs de Rona par Investissement Québec ».

Officiellement, cette commission parlementaire veut faire la lumière sur le rôle qu'a joué Jacques Daoust, fin 2014, alors qu'il était ministre de l'Économie, dans la décision d'Investissement Québec de se départir de ses actions de Rona.

Le savait-il ? Avait-il donné son aval à cette transaction ? Il jure que non. Des documents montrent pourtant qu'Investissement Québec, une société d'État dont il était responsable, a demandé et obtenu le feu vert de son cabinet. Dans tous les cas de figure, le ministre Daoust s'est mis les pieds dans le plat. Soit il a menti, ce qui est condamnable, soit il n'était vraiment pas au courant, une manifestation d'incompétence tout aussi condamnable.

Mais le débat tourne d'autant plus en rond que le ministre a dû démissionner à cause de cette histoire et surtout que la décision d'Investissement Québec n'a pas vraiment pesé dans la balance dans la prise de contrôle, l'hiver dernier, de Rona par une entreprise américain, Lowe's.

C'est plutôt la décision de la Caisse de dépôt de donner son aval à la transaction qui a eu un effet déterminant.

Si les deux partis de l'opposition, la CAQ et le PQ, tiennent tant à faire la lumière sur ces incidents, c'est pour faire durer le plaisir, continuer à dénoncer le gouvernement Couillard qui n'a pas, selon eux, tout fait pour bloquer une transaction qui a vu un fleuron québécois passer sous contrôle étranger.

Mais la transaction majeure que vient d'annoncer Couche-Tard remet les choses en perspective. Le réflexe de victime selon lequel le Québec ne fait que perdre des plumes ne reflète pas la réalité. Ça joue des deux côtés. Cela nous rappelle aussi un principe assez élémentaire : si nous souhaitons que nos entreprises se développent à l'extérieur de nos frontières, il faut s'attendre à ce que le processus inverse ait aussi lieu.

Bien sûr, il ne faut pas regarder ce genre de transactions uniquement à travers leur dimension financière. Il faut mesurer leur impact sur l'économie, sur les emplois. Dans le cas de Rona, il faut mesurer l'impact sur ses fonctions de siège social, sur les liens avec les fournisseurs. Mais il fallait aussi garder en mémoire le fait qu'une chaîne de quincailleries ne joue pas un rôle stratégique. Il fallait aussi penser à la santé présente et future de l'entreprise. La Caisse de dépôt, par exemple, a estimé que Rona aurait été malmenée par l'arrivée prévue de Lowe's sur le marché québécois et que le potentiel de développement de Rona était meilleur avec cette prise de contrôle.

De toute façon, il est assez évident que le débat sur la vente de Rona a été moins économique qu'identitaire. Ce qui s'est exprimé, ce ne sont pas tant des inquiétudes quant aux conséquences concrètes de cette transaction qu'un pincement de coeur à voir une entreprise de chez nous passer sous contrôle étranger.

Le terme qu'on utilise sans cesse dans ce débat, celui de « fleuron », illustre assez bien le caractère émotif du débat. C'est quoi, au juste, un fleuron ? On utilise le terme sans jamais le définir.

Cela m'a frappé en lisant un blogue signé récemment par le chroniqueur économique de RDI, Gérald Fillion, « Rona : le gouvernement Couillard veut-il vraiment protéger les fleurons ? »

Parle-t-on de la taille des entreprises, de leur succès, de leur contribution à la création de richesse, de leur fonction stratégique ? Pas clair. Le concept, subjectif, non quantifiable, se situe davantage dans le registre de la fierté et de l'identité, des origines des propriétaires et de la place qu'occupent ces entreprises dans l'inconscient collectif.

Et si nos parlementaires veulent quand même consacrer leur temps à ce débat, et qu'ils ne veulent pas que leurs efforts soient inutiles, voici trois pistes de réflexion qu'ils pourraient explorer.

Premièrement, combien de centaines de millions de fonds publics aurait-il fallu dépenser pour empêcher la prise de contrôle de Rona par Lowe's ? Le Québec en serait-il sorti gagnant ? Et surtout, est-ce qu'on aurait pu faire quelque chose de plus utile pour l'économie du Québec avec cet argent ?

Deuxièmement, si on tient absolument à utiliser le terme un peu pompier de « fleuron », on devrait commencer par identifier formellement les entreprises qui mériteraient ce qualificatif, pas en fonction d'un quelconque attachement émotif, mais parce qu'il est important qu'elles restent sous contrôle québécois en raison de leur contribution ou de leur rôle stratégique.

Troisièmement, pour passer d'un nationalisme défensif et un peu pleurnichard à un nationalisme économique offensif, il faudrait plutôt penser à développer les fleurons de demain qu'à protéger ceux d'hier.