C'est plus qu'une gueule de bois, plus qu'un lendemain de veille trop arrosé. Le Royaume-Uni ne sort pas seulement désuni de son exercice référendaire qui l'a mené à choisir majoritairement de quitter l'Europe, il en sort affaibli et humilié. Le pays patauge dans un cafouillage pathétique, son leadership politique s'est littéralement effondré.

Les Britanniques ont peut-être choisi le Brexit, mais l'opération est un vaste « Bréchec ».

Cela tient en partie à la nature particulière de ce référendum, promis par le conservateur David Cameron en campagne électorale pour calmer les divisions au sein de son parti sur cette question, mais aussi pour marquer des points auprès des électeurs anti-Europe. Il croyait que les partisans du maintien du lien avec l'Europe l'emporteraient facilement. Ce ne fut pas le cas. Et son calcul électoraliste à courte vue a maintenant des conséquences désastreuses.

Cet échec tient en partie à l'anomalie de ce référendum. Ce processus démocratique, voulu par les adversaires de l'Europe, portait dans les faits sur la sortie de l'Europe, mais a été lancé par un premier ministre pro-Europe. Cela a créé une importante distorsion, parce que les porteurs du projet, les partisans de la sortie, n'étaient pas au pouvoir. Ils ont mené leur bataille non pas comme le fait un gouvernement, mais comme le font des partis de l'opposition, des francs-tireurs comme l'ex-maire de Londres Boris Johnson, un bouffon populiste.

Le résultat, c'est que personne n'a sérieusement travaillé à un scénario de sortie de l'Europe.

Le Royaume-Uni se retrouve donc désemparé, sans savoir comment négocier sa sortie. D'autant plus qu'il est devant un vide politique, parce que le premier ministre Cameron a annoncé sa démission qui sera effective dans trois mois. Les conservateurs devront donc se donner un nouveau chef, ce qui annonce des mois de chicanes dans ce parti divisé, et se retrouveront avec un premier ministre non élu en période de crise. Il y a aussi un vide de l'autre côté, parce que le chef du Parti travailliste, Jeremy Corbyn, déjà fragile, est contesté.

Le danger, au Québec, c'est de regarder les problèmes que vivent les Britanniques à travers le prisme de nos propres expériences référendaires. C'est ce qu'a fait par exemple Jean-Martin Aussant, parfois décrit comme le dauphin de Jacques Parizeau, si obnubilé par son projet qu'il a proposé une des analyses les plus absurdes : « Les Britanniques ont fait preuve de beaucoup de courage en refusant de se laisser influencer par les peurs économiques... Je trouve ça admirable, parce que les gens cèdent souvent à ce genre de menaces. »

En partant, il y a quelque chose de simpliste à décrire des arguments économiques comme des arguments de peur et des menaces, comme le veut le discours souverainiste classique. Il y a assez d'études sérieuses sur les conséquences économiques d'une sortie de l'Europe et sur ses coûts pour que ce soit un devoir d'en parler et de mettre ces éléments dans la balance. Sinon, on sombre dans la pensée magique. Ensuite, peut-on parler de courage ? S'il y a eu du courage, quand on regarde les caractéristiques socio-économiques de ceux qui ont appuyé le Brexit, ce serait dans bien des cas le courage de l'ignorance.

Dans ce référendum, on a vu à l'oeuvre ce qui est une tendance lourde dans les sociétés industrialisées : la montée du populisme et le rejet des élites, qu'elles soient politiques, économiques ou universitaires. Une colère contre ceux qui décident, ceux qui savent, qui s'explique en bonne partie par le fait que les citoyens en veulent à ces mêmes élites pour ne pas avoir amélioré leur sort. Ça donne Donald Trump, ça donne Rob Ford, ça donne un refus de la science, des faits, des arguments raisonnés. Cela a beaucoup joué dans ce référendum. J'ai beaucoup de mal à y voir du courage.

Où cela va-t-il mener ? En regardant les choses aller, en regardant le peu d'empressement des Britanniques pour amorcer le processus qu'ils ont majoritairement appuyé, je me dis qu'il n'est pas impossible qu'ils fassent marche arrière.

D'abord, parce qu'on découvre que, quoi qu'on dise sur la grande règle démocratique du 50 % plus un, dans la vraie vie les choses ne se passent pas comme ça ; 52 %, ce n'est pas beaucoup. Ça ne donne pas un mandat très fort au gouvernement britannique. Tout le monde sait que ça aurait pu aller dans l'autre sens. Et que l'appui au Brexit peut tomber dans les mois qui viennent.

On voit, au Québec, que deux victoires du Non n'ont pas mis fin au débat et que certains rêvent d'un troisième référendum. En Écosse aussi, on pense à un deuxième référendum. On oublie que la logique des référendums à répétition peut jouer dans les deux sens, comme on le voit avec les millions de signatures d'une pétition pour un deuxième référendum.

Ce scénario est d'autant plus possible que les négociations pour la sortie de l'Europe seront menées par un nouveau premier ministre conservateur qui n'aura pas été élu, dont le parti sera profondément divisé et dont le mandat sera très fragile. Cela n'exclut donc pas la possibilité que le Royaume-Uni doive procéder à de nouvelles élections, et que celles-ci portent sur l'Europe, avec des résultats imprévisibles. Et donc que l'aventure du Brexit se termine en queue de poisson.