À Ottawa, on est en train d'assister à une véritable révolution dans la façon de gérer la machine gouvernementale avec l'adoption par le gouvernement Trudeau d'une doctrine, qui a un nom, du moins en anglais : deliverology.

La deliverology, dont le nom vient du verbe deliver, livrer, est la science de « livrer la marchandise » en politique.

Le terme a été traduit en français de façon tout à fait affreuse, « livraisonlogie », un mot qui accroche dans la bouche et dont la construction ne respecte pas les usages de la langue française. Personnellement, je préférerais « livrologie », construit comme mixologie, qui sonnerait beaucoup mieux.

Il s'agit d'un mode de gestion publique mis au point par Sir Michael Barber, qui est devenu un proche conseiller de Tony Blair en 2001.

Sa méthode pour assurer un suivi des engagements politiques et faire en sorte qu'un gouvernement tienne ses promesses a contribué au succès du premier ministre britannique.

M. Barber est depuis devenu un consultant à travers le monde, et même un gourou. Il a publié plusieurs livres dont How to Run a Government : So that Citizens Benefit and Taxpayers Don't Go Crazy. Un titre révélateur qui peut se traduire ainsi : Comment diriger un gouvernement : Pour que les citoyens en profitent et que les contribuables ne deviennent pas fous.

L'influence du gourou s'est aussi fait sentir à Ottawa. M. Barber a participé, comme consultant, à deux retraites fermées du Conseil des ministres de Justin Trudeau, et ses méthodes sont déjà à l'oeuvre dans la machine gouvernementale canadienne.

On avait déjà pu remarquer que le gouvernement Trudeau est très soucieux de respecter ses engagements électoraux, comme l'accueil des réfugiés, le retrait des troupes en Syrie ou les mesures budgétaires. On l'a vu aussi au fait que chaque ministre est entré dans ses nouvelles fonctions avec une feuille de route très précise. Cela décrit une philosophie, qu'on retrouvait aussi chez les conservateurs de Stephen Harper, qui consiste, pour le gouvernement, à faire ce qu'il a dit qu'il ferait.

Mais la livrologie va beaucoup plus loin que le simple suivi des promesses permettant à un gouvernement d'établir une liste de ses engagements et de cocher ceux qui sont remplis. Il s'agit plutôt d'une approche différente de la gestion publique pour mieux définir les objectifs et ensuite pour combattre l'inertie gouvernementale, les excuses, les contraintes, les complexités qui font que, trop souvent, les choses n'aboutissent pas.

La méthode repose sur la mise sur pied d'une petite équipe axée sur la performance, qui établit les priorités et assure le suivi, qui pousse dans le dos des organismes publics pour accélérer les choses. Elle exige aussi la disponibilité de données et de statistiques, qu'il faut souvent bâtir de toutes pièces, pour mesurer les progrès et établir des cibles et des échéanciers.

C'est dans cet esprit que le gouvernement a créé un nouveau poste au Conseil privé, l'organisme central de la fonction publique, celui de « sous-secrétaire, résultats et livraison », comme Michael Barber l'avait fait au 10, Downing Street. Et qu'on assiste à un branle-bas dans les organismes et ministères où l'on doit affecter des fonctionnaires à la livrologie.

Le virage est assez important pour qu'il y ait des colloques sur le sujet à Ottawa.

Ou encore que le directeur parlementaire du budget, Jean-Denis Fréchette, en ait parlé au congrès de l'Association des économistes québécois dans un panel sur l'État 2.0.

Il donnait en exemple le passage suivant du budget de Bill Morneau : « Les investissements dans de meilleures routes et un meilleur transport en commun, par exemple, non seulement aideront David et Neera à rentrer chez eux plus tôt après une longue journée, mais ils faciliteront aussi la circulation des personnes et des produits qui favorisent la croissance de notre économie. »

Le budget s'engage clairement à réduire le temps que les citoyens passeront à se déplacer pour aller travailler. Est-ce qu'on a des chiffres sur ce temps de déplacement ? De combien veut-on le réduire ? En commençant à quel endroit ? Et comment sera-t-on capable de vérifier s'il y a progrès ? Et ainsi de suite. Vous voyez le genre.

Il y a sans doute un effet de mode dans la livrologie. C'est à l'usage que l'on verra si cette nouvelle approche donne de meilleurs résultats. Mais l'idée même qu'un gouvernement déploie autant d'énergie à respecter ses engagements a quelque chose de rassurant. Et pour une fois, c'est un dossier où l'on aimerait que le Québec s'inspire d'Ottawa !