Décidément, il y a de mauvaises idées qui ne meurent jamais, qui refont surface avec régularité, même si elles ne résistent pas longtemps à l'analyse. C'est le cas du projet d'annexion au Canada des îles Turques-et-Caïques.

La dernière mouture de ce rêve a été formulée par des associations de circonscriptions ontariennes du NPD qui en ont fait une proposition en bonne et due forme au congrès de ce week-end à Edmonton. Les délégués, avant de désavouer leur chef Tom Mulcair, ont dû se pencher sur la proposition 1-92-16, qui se lit comme suit : 

« Les néo-démocrates veulent engager la population et les gouvernements des îles Turques-et-Caïques ainsi que le gouvernement britannique, pour faire en sorte que les îles Turques-et-Caïques deviennent la onzième province du Canada ».

En temps normal, je n'aurais pas consacré de chronique à ce sujet quand même mineur. Mais cela a piqué ma curiosité parce que c'est là que j'ai fait mon pèlerinage tropical cet hiver. Et surtout parce que j'ai découvert que cette idée saugrenue commençait à faire le tour du monde. Samedi, le très sérieux Washington Post y consacrait une longue analyse dont le titre disait tout : « L'étrange quête du Canada pour son propre Hawaii ».

Il y a une logique derrière ce projet qui lui donne l'apparence d'une bonne idée. On dépense des fortunes pour aller dans le Sud. Dans un livre que j'ai publié récemment, Maudit hiver, toutes les raisons de ne pas l'aimer, j'ai évalué le nombre de départs par année vers des destinations-soleil à 11,6 millions pour le Canada et à 2,3 millions pour le Québec. Cette soif pour le soleil explique largement le déficit touristique de 16,6 milliards au Canada et de 3,4 milliards au Québec. En possédant son propre paradis tropical, le Canada garderait au pays les dépenses pour les destinations-soleil, simplifierait les déplacements - pas de douanes, pas de risque de change, pas de risque pour les snowbirds de perdre leurs avantages sociaux.

Ce processus pourrait s'inscrire dans une longue tradition de passage de territoires d'une juridiction britannique à une autre. Ce fut le cas de Terre-Neuve qui s'est joint au Canada en 1949. Les îles Turques-et-Caïques ont été rattachées à la Jamaïque et aux Bahamas avant de devenir un territoire britannique d'outre-mer autonome. Et elles intéressent le Canada depuis longtemps. Les trois partis de la Nouvelle-Écosse ont fait une offre unanime à l'archipel pour rejoindre la province en 2004. Le député conservateur Peter Goldring en a fait une croisade personnelle au cours des dernières années. On se souvient qu'au Québec, le ministre du Tourisme du gouvernement Lévesque, Marcel Léger, voulait annexer une île tropicale.

Mais l'annexion d'un pays en voie de développement à un pays riche cause d'énormes problèmes.

Turques-et-Caïques, ce sont un chapelet de petites îles tropicales, la plupart inhabitées, d'une superficie totale d'à peine 417 km2, au sud des Bahamas et au nord de Cuba. Leur seule activité a longtemps été le sel. En 1960, elles ne comptaient que 5500 habitants, concentrés dans la plus grande île, Providenciales, où il n'y avait ni voitures, ni téléphone, ni électricité. Le tourisme a tout changé. 

On compte maintenant 49 000 habitants, dont 60 % viennent des îles voisines. Le tourisme est de loin la principale industrie, grâce aux très belles plages, ainsi que les industries connexes, comme les services financiers et la construction. Mais ce sont des îles arides qui doivent importer l'essentiel de leur nourriture. Le PIB par habitant est assez élevé, et le salaire minimum, à 6,25 $US, montre que, sans être riches, les habitants ne sont pas dans la misère.

Qu'arriverait-il si on annexait ces îles ? Tout dépend de la façon. Si on en fait une province, comme le suggère le NPD, le Canada devra offrir à ces nouveaux venus des services auxquels ont droit les Canadiens. Pour donner une idée, les transferts fédéraux aux Territoires canadiens s'élèvent à environ 25 000 $ par habitant. Ça donnerait 1,2 milliard pour Turques-et- Caïques, sans compter les pensions, les allocations pour les familles. Des milliards et des milliards. Il faudrait aussi régler plusieurs problèmes, comme le droit de s'établir au Canada ou encore l'absence d'impôt sur le revenu qui fait de l'archipel un paradis fiscal !

L'autre approche, c'est une intégration plus limitée des îles pour en faire une alliance à deux vitesses. Il y a plein d'exemples dans les Caraïbes d'îles relevant de puissances occidentales - États-Unis, France, Grande-Bretagne, Pays-Bas. Dans tous les cas, ce sont des héritages plus ou moins réussis d'un passé colonial. Le cas de Turques-et-Caïques serait unique, celui d'une colonie canadienne créée au XXIe siècle. Ce n'est pas pour rien que le premier ministre actuel, Refus Ewing, n'est pas chaud à l'idée de passer d'« un maître à l'autre ».