La semaine dernière, la ministre de la Culture, Hélène David, a dit qu'elle cherchait de nouveaux modes de financement pour la culture.

Mais où trouver de l'argent ? Comment ? Il y a une idée qui flotte dans le monde culturel, et c'est de reprendre au vol l'une des recommandations qu'avait faites il y a bientôt un an la Commission sur l'examen de la fiscalité québécoise, présidée par Luc Godbout, celle de mettre fin à l'exemption de la TVQ dont profite le livre.

C'est une idée toute simple, très logique, facile à mettre en application, mais qui soulèvera des passions, tant de natures fiscales que culturelles, parce que rien n'est simple, pas plus en fiscalité qu'en culture.

Au départ, l'idée a été mal reçue par le monde du livre. Parce que cela touche à quelque chose de sacré. Seulement deux grands secteurs d'activité sont exemptés de la TPS fédérale et de la TVQ québécoise, l'alimentation et la santé, parce que ce sont des besoins essentiels. Le fait que Québec, mais pas Ottawa, exempte aussi le livre envoyait un message symbolique fort : on traitait le livre comme une nourriture essentielle pour la protection et l'épanouissement du français.

Mais pourquoi la commission Godbout voulait-elle mettre fin à cette mesure ? Pas par aveuglement de fiscalistes. Parce que cette commission avait pour mandat d'analyser la pertinence, l'efficacité et l'équité des multiples mesures fiscales mises en place au fil des décennies. Dans le cas précis du livre, le fait de ne pas exiger la TVQ de 9,975 % prive l'État québécois d'une soixantaine de millions, quand on sait que les ventes de livres s'élevaient à 622 millions en 2014. Est-ce que cet équivalent d'une subvention de 60 millions atteint les résultats escomptés ? La commission Godbout a manifestement estimé que non. Elle a donc recommandé de l'éliminer, mais aussi de réinjecter les sommes économisées dans des mesures de soutien au livre.

Mais pourquoi ? En creusant un peu, on peut voir que cette exemption est l'exemple même d'une mauvaise bonne idée.

Elle n'aide pas les bonnes personnes, elle ne le fait pas de la bonne façon, parfois elle a même des effets contraires à ceux que l'on recherchait. Voici six grands paradoxes que met en relief cette mesure fiscale.

1) L'exemption s'applique aux livres qui ont un numéro normalisé international ISBN. Les livres en anglais, qui occupent une part croissance du marché, en profitent donc aussi. Ce n'est pas être anglophobe de dire qu'il est étonnant qu'une mesure de survie du français s'applique aussi à l'anglais.

2) Cette exemption profite aussi aux livres publiés et produits en France, une part très importante des ventes. Une partie de la subvention prend ainsi le chemin de l'étranger.

3) Puisque l'aide porte sur tous les livres, elle s'applique aussi aux livres utilitaires, comme les guides de l'auto. Ces livres permettent aussi de soutenir la pratique de la lecture dans la vie quotidienne, mais on quitte le champ de la culture. On aide l'industrie du livre, plutôt que l'industrie culturelle.

4) Cette exemption ne s'applique pas aux livres électroniques, un support appelé à prendre une place croissante, surtout chez les jeunes, ceux vers qui devraient être concentrés les efforts de valorisation de la lecture.

5) Si le livre est exempté, les journaux et les revues ne le sont pas, même s'ils constituent le principal support de la lecture dans la population. Ce qui illustre encore une fois la confusion des objectifs : est-ce qu'on veut aider l'industrie du livre, la lecture, la culture, le français ?

6) Enfin, une question. Jusqu'à quel point une taxe de 9,975 % nuirait-elle la lecture ? Ça ne changerait rien pour tous les supports autres que le livre papier traditionnel ni pour les livres empruntés dans une bibliothèque. Pour les achats de livres, il faut connaître la sensibilité aux prix. L'industrie elle-même, dans le débat sur le prix unique, estimait que l'incidence était assez marginale pour combattre les rabais.

Et maintenant, le problème fiscal. Techniquement, l'abolition de cette exemption ne constitue pas une hausse de taxe, mais une normalisation du régime, une nuance qui échappera aux citoyens, absolument allergiques à toute forme de hausse, directe ou indirecte, des taxes et des tarifs. Une résistance à laquelle on peut toutefois répondre si l'on démontre clairement que l'argent que l'on prend ainsi sera retourné. On parle d'une somme nette d'une cinquantaine de millions quand on prend en compte certains facteurs techniques.

La création d'un fonds spécial où le produit de la taxe serait versé fournirait une réponse acceptable, surtout si le fonds sert le même objectif de soutenir le livre. Si le but est plutôt d'utiliser ce fonds pour financer la culture en général, cela risque d'être perçu comme une taxe qui, aussi dédiée soit-elle, constitue un moyen détourné de taxer pour financer les programmes.

Mais il y aurait sans doute une solution mitoyenne qui permettrait à la ministre d'avoir accès à des fonds additionnels sans affronter un problème d'acceptabilité. On sait que le mal dont souffre le Québec dépasse largement la question du livre, mais tient aux rapports difficiles des Québécois avec la lecture : ils lisent peu, souvent n'aiment pas lire, ne lisent pas à leurs enfants. Ces problèmes fondamentaux justifient qu'une intervention publique ratisse beaucoup plus large et porte sur la grande problématique de la langue parlée et écrite.