On connaît l'expression consacrée pour décrire le refus d'un gouvernement de mettre en oeuvre les recommandations d'un rapport remis par des experts ou une commission d'enquête. On dit que le rapport a été mis sur une tablette.

L'expression, qui fait image, est désuète à l'ère du numérique. Les rapports en format papier se font rares et ils ne s'empoussièrent plus sur une étagère. Maintenant, on oublie un document PDF dans un dossier enfoui quelque part sur un disque dur.

Mais il y a pire sort que la tablette, car les rapports, même s'ils ne sont pas repris à la lettre, peuvent inspirer des initiatives ou même parfois avoir une seconde vie. Ce qui est pire, c'est la déchiqueteuse, la disparition, le néant, ou son équivalent numérique, la corbeille.

C'est ce qui semble être en train d'arriver au rapport de la Commission d'examen sur la fiscalité québécoise, en qui le gouvernement Couillard plaçait beaucoup d'espoirs quand il en a annoncé la création en juin 2014, sous la présidence du fiscaliste bien connu de l'Université de Sherbrooke, Luc Godbout.

La Commission, qui a remis son volumineux rapport en mars 2015, a fait des propositions audacieuses qui consistaient à repenser la façon dont l'État perçoit ses revenus. Elle reposait sur un transfert, une baisse massive des impôts de 5,98 milliards pour les personnes et les entreprises qui se finançait par un resserrement des abris fiscaux, la tarification, notamment celle de l'électricité, et une hausse de la TPS-TVQ à 16 %.

L'opération était fiscalement neutre. Les gens ne paieraient ni plus ni moins qu'avant, mais ils auraient pas mal plus d'argent sur leur chèque de paye et seraient taxés plutôt au moment de la consommation.

Cela mènerait à une fiscalité plus simple, plus équitable et moins néfaste pour l'économie.

Dans un premier temps, ces propositions ont été très bien accueillies par le ministre des Finances, Carlos Leitao, qui, comme tous les économistes, est favorable à ce déplacement du fardeau fiscal vers les taxes à la consommation. Le premier ministre Philippe Couillard, plus prudent, souhaitait qu'on prenne le temps et qu'on enclenche un débat de société sur la question.

Finalement, en septembre dernier, une commission parlementaire s'est penchée sur ce rapport, où ont défilé les mêmes organismes qui avaient défilé devant la commission Godbout. Il s'en est dégagé un consensus assez large sur la baisse des impôts, mais pas sur la hausse de la TVQ ou le resserrement des abris fiscaux. Le ministre Leitao a donc tempéré son enthousiasme. Le gouvernement a repris quelques recommandations du rapport, sur l'élimination d'abris fiscaux, sur le concept de bouclier fiscal pour les faibles revenus, mais il ne retient pas ce qui en est l'essence, ce qui constitue le fondement de la réforme, le déplacement du fardeau de l'impôt sur le revenu vers les taxes à la consommation.

Dans son entrevue de fin d'année à La Presse, M. Couillard a été fort tiède : pour « le rééquilibrage des impôts et de la taxe à la consommation, il faut réaliser qu'avec une croissance économique faible, il faut être excessivement prudent. On ajouterait un frein à la demande intérieure ».

L'argument de la fragilité de l'économie n'est pas convaincant. Parce que si cette réforme augmente la TPS-TVQ, elle met de l'argent dans la poche des gens, en général de 1000 $ à 2000 $ par famille, ce qui aurait un effet très stimulant. Les projections du ministère des Finances estimaient que cette réforme aurait un impact positif sur l'économie, en générant un demi-milliard de plus en investissements et 20 000 emplois.

Les réticences du gouvernement libéral sont bien davantage politiques. Cette réforme est difficile à vendre, en raison de la méfiance des citoyens envers l'État. Ils auront peur de se faire avoir, de payer plus de TPS-TVQ sans avoir la contrepartie, la baisse des impôts. Une crainte ravivée par les partis d'opposition, prisonniers de nos traditions parlementaires et qui, au lieu de débattre du fond, ont dénoncé bêtement l'intention secrète des libéraux d'augmenter la TVQ. Ce débat primaire, ainsi que le caractère technique de la commission parlementaire qui s'est tenue en vase clos, a fait en sorte que le débat de société souhaité au départ par M. Couillard n'a jamais eu lieu.

Et pourtant, le grand défi économique du gouvernement Couillard c'est de prendre les moyens pour que le Québec cesse d'avoir un taux de croissance anémique. Cette réforme fiscale est un outil qui contribuerait à cet objectif. Est-il sage de l'écarter ?