Le Québec n'a pas fait de progrès suffisants dans la lutte contre le décrochage scolaire, si on regarde les statistiques les plus récentes sur la question, ce qui constitue très certainement le principal échec de notre système d'éducation.

Le risque est réel qu'il fasse encore moins de progrès dans les années à venir, parce que les jeunes décrocheurs de demain se recruteront, par définition, parmi ceux qui constituent aujourd'hui les populations vulnérables de nos écoles. Ce sont elles qui sont les plus affectées par les mesures d'austérité frappant le réseau d'éducation - moins de spécialistes pour accompagner les jeunes en difficulté, moins d'aide aux devoirs, moins d'activités parascolaires favorisant l'intégration, moins de temps pour ceux qui en ont le plus besoin en raison de l'augmentation du nombre d'élèves par classe.

La semaine dernière, Québec publiait la dernière édition de ses Indicateurs de l'éducation, édition 2014. Ma collègue Louise Leduc, qui en a fait l'analyse, a noté les piètres progrès sur le front du décrochage. En 2012-2013, la proportion de jeunes qui ont quitté l'école secondaire sans diplôme et sans qualification en poche était de 15,3 %, moins chez les filles, 11,9 %, et beaucoup plus chez les garçons, là où se situe surtout le problème, 18,8 %.

On doit noter que cette proportion a baissé. Elle était de 20,1 % en 2010-2011 et de 19,8 % en 2011-2012. Il y a donc une tendance à l'amélioration, d'autant plus que le succès semble significatif quand on compare ces chiffres à ceux d'il y a 10 ans, alors que le taux de décrochage masculin oscillait plutôt autour de 27-28 %.

Ce progrès est dû en bonne partie à la création de nouveaux parcours pédagogiques allégés dans les écoles secondaires - la formation préparatoire au travail et la formation menant à l'exercice d'un métier semi-spécialisé - qui donnent droit à un certificat d'attestation. Le ministère classe ces certificats comme des diplômes, ce qui lui permet de réduire le taux de décrochage, même s'il ne s'agit pas de véritables diplômes du secondaire. Sans cela, le taux de décrochage masculin resterait aux alentours de 22 %. Plus de un sur cinq.

On peut mieux voir le sérieux de la situation avec une mesure de Statistique Canada qui repose sur une autre définition du décrochage, la proportion des jeunes de 20 à 24 ans qui n'ont pas de diplôme et qui n'étudient pas, obtenue à partir des informations de l'Enquête sur la population active.

Dans mon essai Portrait de famille, publié il y a un an, je faisais état d'une étude de Statistique Canada qui mesurait le décrochage défini de cette façon pour les 10 provinces canadiennes avec une moyenne des années 2009 à 2012. Le Québec, malgré ses progrès, se retrouvait avec le taux de décrochage le plus élevé au Canada, 10,6 %. Il devançait le Manitoba, 10,4 %, l'Alberta, 10,0 %, la Saskatchewan, 9,2 %, Terre-Neuve-et-Labrador, 8,7 %, l'Île-du-Prince-Édouard, 8,1 %, la Nouvelle-Écosse, 7,6 %, le Nouveau-Brunswick, 7,4 %, l'Ontario, 6,6 % et la Colombie-Britannique, 5,9 %. Pourquoi est-ce pire au Québec ?

Le Conseil du patronat, dans son Bulletin de la prospérité du Québec 2015, a mis ces données à jour avec l'aide de Statistique Canada. Avec des taux de décrochage de 9,3 % en 2012-2013, de 10,3 % en 2013-2014 et de 9,4 % en 2014-2015, le Québec ne semble pas amorcer de tendance à la baisse et devance toujours les trois provinces auxquelles il est comparé : l'Alberta, où il se situe aux alentours de 8 %, et l'Ontario et la Colombie-Britannique, où il se situe entre 5 % et 6 %.

Il ne s'agit pas de se comparer pour le plaisir, mais pour essayer de comprendre. Cet échec québécois est lourd de conséquences.

Le taux de décrochage élevé comporte un coût pour l'économie en la privant d'un bassin suffisant de main-d'oeuvre qualifiée. Il a un effet social, parce que les décrocheurs, moins éduqués, risquent d'être moins informés, plus susceptibles d'avoir des carences en littératie. Et surtout, il a un impact énorme pour les décrocheurs eux-mêmes : plus de chômage, de moins gros salaires, plus de vulnérabilité, une moins grande capacité à sortir du cycle de la pauvreté.

Si le taux de décrochage est élevé, c'est moins à cause des carences de notre système d'éducation qu'en raison d'un problème de société, la trop faible valorisation de l'éducation, tant dans la vie familiale que dans le débat public, qui nous a menés, entre autres, à tolérer trop longtemps une situation intolérable. Et c'est peut-être là l'effet le plus nuisible des compressions dans l'éducation. Elles véhiculent un message toxique : celui que l'éducation n'est pas une priorité.