Une étude de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke montre que, contrairement à la croyance populaire, les revenus des ménages québécois ont augmenté depuis 35 ans.

Pour en arriver à cette conclusion, les auteurs, Luc Godbout - celui qui présidait la Commission sur la fiscalité - et sa collègue Suzy St-Cerny, soulignent que les données globales sur le revenu des ménages donnent un portrait incomplet parce qu'elles masquent l'évolution des structures familiales - surtout la réduction de la taille des familles et la montée de la monoparentalité.

Pour l'ensemble des ménages, il y a eu une baisse de 3,4 % du revenu médian après impôts entre 1976 et 2011. Mais si on décompose les données globales selon les types de famille, on découvre que les revenus ont progressé dans toutes les catégories : 25,8 % pour les familles âgées, de 32,6 % pour les familles biparentales, de 60,7 % pour les monoparentales, 25,1 % pour les personnes seules et de 4,0 % pour les couples sans enfants.

Ces données ne permettent absolument pas de proclamer que le débat sur les égalités de revenus ou sur la stagnation des revenus est maintenant clos. Entre autres parce que la progression des revenus du marché, ceux que l'on gagne en travaillant, a été très inégale, surtout après le tournant du siècle, et que l'augmentation des revenus constatée par les chercheurs de l'Université de Sherbrooke s'explique en bonne partie par les politiques de redistribution et de soutien des gouvernements.

Mais cette recherche jette un éclairage nouveau, qui permet de réfléchir à ces questions autrement qu'à partir de clichés. Voilà pourquoi elle a suscité en moi une réflexion, non pas sur ses résultats eux-mêmes, bien qu'ils soient fort intéressants, mais plutôt sur le rôle de la recherche dans le débat public.

Les bonnes politiques doivent reposer sur des faits vérifiés, car mieux on comprend un problème, plus on a de chances de trouver les bonnes solutions.

Mais nous vivons dans un monde de plus en plus polarisé, où les débats publics se font souvent par lobbies interposés, entre groupes de pression et coalitions de toutes sortes, qui défendent chacun des intérêts précis.

On retrouve la même chose dans le monde de la recherche. Plusieurs organismes ou think tanks ont une orientation idéologique très claire et ont pour mission de défendre un point de vue ou une cause. Ils sont en fait ce que les anglophones appellent des « advocacy groups ». Ces recherches peuvent être d'excellente qualité, mais leur but premier est de défendre une thèse, dont les conclusions sont connues avant que le travail commence.

C'est le cas par exemple de l'Institut économique de Montréal, dont la mission, clairement énoncée, consiste à proposer « des réformes créatrices de richesse et fondées sur des mécanismes de marché ». À l'autre bout du spectre idéologique, l'Institut de recherche et d'information socioéconomique dit qu'il « diffuse un contre-discours aux perspectives que défendent les élites économiques », en insistant davantage, à mon humble avis, sur l'efficacité du contre-discours que sur la rigueur de la recherche.

Ce phénomène est encouragé par les médias, surtout électroniques, où la confrontation d'idées clairement opposées donne un meilleur spectacle et crée l'illusion de l'équilibre parce qu'on a donné la parole aux deux côtés. Ce qui donne souvent des débats stériles entre écolos et climatosceptiques, entre néolibéraux et groupes de gauche, où on demande en fait aux citoyens de se débrouiller tout seuls et de trouver eux-mêmes la vérité, comme si elle jaillira spontanément de la juxtaposition des extrêmes.

Pour avoir l'heure juste, pour être vraiment éclairée, une société ne peut pas seulement compter sur cette logique du débat contradictoire. Elle a aussi besoin de recherche vraiment indépendante, que l'on peut retrouver dans les universités, dans certains centres qui ont fait le choix de la neutralité, qui va essayer de trouver la vérité et d'établir les faits peu importe là où ils se trouvent.