Cette chronique ne porte pas sur notre charmante tradition printanière. La métaphore piscicole fait plutôt référence au fait que le mouvement de protestation étudiante est en train de tourner en queue de poisson.

Faisons un peu de politique-fiction. Si le gouvernement Couillard, pour ne pas commettre l'erreur du gouvernement Charest - qui avait, à tort, misé sur un essoufflement du mouvement étudiant - décidait de se mettre à l'écoute les étudiants en grève et de trouver des façons de satisfaire leurs revendications, qu'est-ce qui se passerait?

Rien. D'abord parce que le gouvernement ne saurait pas avec qui négocier, devant ce mouvement assez informe où l'ASSÉ, l'Association pour une solidarité syndicale étudiante, plus radicale, est présente, mais pas seule, et où les deux grandes associations, la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) et la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ), n'ont pas appelé à la grève. Mais surtout, parce qu'il ne saurait pas quoi négocier. Comment répondre à un programme aussi vaste et si informe que l'opposition à l'austérité et aux hydrocarbures?

En poussant à l'absurde la logique de ce mouvement de grève, puisque le retour à l'équilibre budgétaire est au coeur de l'action du gouvernement Couillard, la seule réponse de sa part capable de satisfaire la fronde étudiante serait de carrément renier ses priorités ou encore de démissionner.

Mais le problème ne serait pas réglé pour autant. Car si la lutte contre l'austérité s'exprime par une mobilisation contre le gouvernement Couillard, ce ne serait pas vraiment différent avec le PQ ou la CAQ. C'est le gouvernement Marois qui, très récemment - il y a un an, un mois et douze jours -, avait prévu l'élimination du déficit en 2015-2016, ce qui avait d'ailleurs mené l'ASSÉ à dénoncer sa «continuité libérale». Avec la CAQ, qui ne veut pas taxer les contribuables, l'élimination du déficit passerait par des compressions encore plus sévères.

Autrement dit, la seule issue politique acceptable pour le mouvement étudiant, ce serait que Philippe Couillard cède son poste à Françoise David. Avec un petit problème de démocratie, puisque la quasi-totalité des Québécois n'appuie pas le programme de Québec solidaire.

En somme, le principal message de cette «grève sociale», c'est qu'une certaine proportion des étudiants en grève, du moins ceux qui contrôlent les assemblées générales, sont plus proches de Québec solidaire que la moyenne, qu'ils se concentrent dans les départements davantage portés à l'action politique, et dans des institutions qui ont une tradition militante, comme l'UQAM. Bref, cette grève est moins un mouvement politique qu'un phénomène sociologique.

Le résultat était prévisible. Le mouvement tourne en rond, ponctué de manifs, nocturnes ou non, évidemment sans itinéraire, pour mettre un peu de piquant, ponctuées, si on est chanceux, de débordements des éléments radicaux ou de bavures policières qui feront les manchettes. La grève étudiante, sans message clair, est devenue une succession de faits divers.

Je ne suis évidemment pas le seul à voir que ça tourne en queue de poisson. Même l'ASSÉ, dans les documents préparatoires à son congrès de cette fin de semaine, se demande, un peu tard, où peut mener cette grève de deux semaines, et s'interroge sur la pertinence de transformer le mouvement en grève générale illimitée. «Ensuite, si nous poursuivons en lançant une GGI, jusqu'où irons-nous pour affirmer victoire? Quelles seront les raisons pour lesquelles nous nous prononcerons en faveur d'une reconduction? Jusqu'à l'abolition des mesures d'austérité? Si c'est le cas, une grève étudiante ne peut pas à elle seule bloquer ces mesures.» Eh oui.

L'ASSÉ propose donc «un repli stratégique», qu'elle qualifie évidemment d'un «pas de plus vers la victoire», sans dire laquelle, qui consisterait à reporter le mouvement à l'automne, pour faire jonction avec la mobilisation syndicale.

Bref, les printemps se suivent et ne se ressemblent pas. Ce qui manquait, cette fois-ci, c'est une cause gérable, un leadership, l'appui, déterminant en 2012, des syndicats et du PQ, et, sans doute...le beau temps.