Le gouvernement du Québec, quand il est aux prises avec une question complexe, a souvent recours à des groupes de travail ou à des comités d'experts, à qui il donne le mandat d'analyser la situation et de recommander des solutions. Ça s'est fait pour la tarification, pour l'état des finances publiques ou encore pour le financement des hôpitaux.

Le gouvernement Couillard devrait faire la même chose pour l'aider à résoudre l'un de ses grands défis, soit l'organisation de la première ligne en santé, le rôle des médecins, leurs tâches et leur rémunération, et le rôle des autres professions de la santé.

Pourquoi? Parce qu'on est dans une impasse. Pour l'instant, ce dossier donne lieu à une belle chicane entre le ministre Gaétan Barrette et la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec, avec les insultes du ministre et une guerre de chiffres stérile. Cela fait peut-être du Dr Barrette un ministre populaire, parce que les gens aiment ça quand on tape sur les docteurs et qu'ils ont l'impression que le ministre brasse la cage. Mais la gestion de l'État n'est pas une téléréalité.

La solution du ministre - forcer les généralistes qui ne travaillent pas assez selon lui à travailler plus avec une brochette de pénalités - est une approche mécanique qui a ses limites. Et surtout, on n'arrivera à bien faire rouler le système de santé que si tout le monde travaille ensemble, ce qui n'arrivera certainement pas avec l'actuelle dynamique d'affrontement. Un groupe d'experts, capable de recul et d'objectivité, permettrait d'assainir ce climat malsain.

Ce mauvais climat remonte à loin. Il s'explique par les réflexes corporatistes des fédérations médicales. Il s'explique aussi par la culture du ministère de la Santé, dont on a eu une belle illustration dans une lettre, dans ces pages Débats, écrite par un ancien fonctionnaire, M. Daniel Poirier, qui était directeur de la planification de la main-d'oeuvre médicale au ministère de la Santé, qui a ensuite donné lieu à un échange épistolaire avec le président de la FMOQ, Louis Godin.

M. Poirier, un spécialiste du domaine, était carrément fielleux, clairement hostile à l'égard des médecins, plus soucieux de se défouler que d'éclairer, ce qui en dit long sur le climat qui doit régner à ce ministère. Par exemple, la lettre contenait une dénonciation de la hausse du salaire des médecins entre 2000 et 2013 sans noter nulle part qu'elle s'expliquait par un rattrapage pour se rapprocher des niveaux de rémunération canadiens.

Cela nous rappelle qu'à l'heure actuelle, trop de questions sont sans réponses. Par exemple, si les médecins posent moins d'actes, comme le dit le ministre, jusqu'à quel point cela s'explique-t-il par le fait que ces actes sont plus complexes? Si les médecins prennent moins de patients en charge, jusqu'à quel point cela s'explique-t-il par leur obligation de travailler aussi ailleurs qu'en clinique, surtout dans les hôpitaux? Comment se fait-il qu'on n'arrive pas à avoir l'heure juste sur la charge de travail des médecins?

La réduction de la charge de travail des médecins semble par ailleurs être un phénomène généralisé au Canada. Jusqu'où la situation est-elle différente au Québec? Comment les autres provinces abordent-elles ce problème? Comment se comparent le niveau et le mode de rémunération des médecins québécois? C'est le genre de question qu'un groupe d'experts pourrait traiter de façon plus objective.

Son utilité serait encore plus grande du côté des solutions. Car le modèle actuel, celui de la rémunération à l'acte, a passé sa date de péremption. Actuellement, on ne fait que rafistoler ce système imparfait, au lieu de réfléchir à d'autres approches, et surtout celle de la capitation, où la rémunération repose sur la clientèle prise en charge plutôt que sur le nombre d'actes posés.

Et comme ce n'est pas le Dr Barrette, un produit de la culture de la médecine à l'acte, qui amorcera cette réflexion, mieux vaut la confier à un comité d'experts indépendants.