Vous n'avez peut-être pas remarqué le texte signé par le Prix Nobel d'économie Joseph Stiglitz que La Presse a publié hier dans ces mêmes pages.

Mais vous pouvez être certains que plein de gens l'ont lu avec délectation dans les milieux qui s'opposent aux politiques de redressement budgétaire du gouvernement Couillard. Dans ce texte, intitulé «L'austérité a échoué», l'économiste de Columbia pourfend Angela Merkel et les partisans européens de l'austérité, qu'il qualifie de «désastre complet».

C'est du bonbon pour ceux qui se battent contre les compressions québécoises, et qui ont maintenant un Prix Nobel de leur bord! Cet argument d'autorité a quand même un petit défaut. Depuis l'an 2000, quatorze Prix Nobel ont été remis à 30 économistes. Du nombre, certains sont à gauche, comme M. Stiglitz, et d'autres à droite, comme l'un des lauréats de l'an dernier, Eugene Fama.

Leurs prises de position reposeront sur leurs compétences scientifiques, mais aussi sur leurs convictions. 

Il faut néanmoins souligner que dans le dossier des politiques de relance, les thèses de M. Stiglitz se sont imposées. Il a quitté son poste d'économiste en chef de la Banque mondiale, en l'an 2000, après avoir critiqué l'approche de remède de cheval préconisée par l'organisme et par le FMI, en soulignant que les efforts excessifs de rigueur budgétaire compromettaient la relance et plongeaient les économies dans un cercle vicieux. Le FMI et la Banque mondiale ont admis depuis qu'elles faisaient fausse route.

Mais il faut rappeler que Joseph Stiglitz, dans son texte, ne se prononce pas sur la fermeture du Conservatoire de Rimouski ou sur les compressions de l'Agence régionale de santé de Montréal. Il ne parle même pas du Canada et du Québec.

Voici ce qu'il a écrit: «De ce point de vue, l'austérité a été un désastre complet. C'est évident si l'on considère les pays de l'Union européenne qui sont à nouveau au bord de la stagnation, si ce n'est d'une récession à triple creux, avec un chômage qui reste à des sommets et dans beaucoup de pays un PIB réel par habitant (corrigé de l'inflation) toujours inférieur à son niveau d'avant-crise. Même dans les pays qui s'en sortent le mieux comme l'Allemagne, depuis la crise de 2008, la croissance est tellement faible que dans d'autres circonstances, on la qualifierait de lamentable.»

Sa réflexion porte sur l'Europe. Il décrit une situation qui n'existe pas ici, même au Québec, qui manque de vigueur économique.

Il n'y a pas de stagnation, encore moins de récession à triple creux, le chômage n'est pas à un sommet, le revenu réel par habitant ne baisse pas. L'effet débilitant des politiques d'austérité ne s'observe pas non plus, parce que la récession a été moins forte, la reprise plus rapide, et le chemin à parcourir pour retrouver la santé budgétaire moins long, car les gouvernements étaient en situation de surplus quand la crise a éclaté en 2008-2009. Ce qui est aussi le cas de l'Allemagne et des pays d'Europe du Nord.

À cela s'ajoute un élément sémantique. Qu'entend-on au juste par austérité? Il y a une énorme différence entre des compressions sauvages comme en Grèce ou en Espagne et les contrôles budgétaires serrés du Canada ou du Québec. Au Québec, les dépenses ne baissent pas, elles continuent d'augmenter, mais à un rythme moins rapide que si on les laissait croître sans contraintes: 3,2% en 2013-2014, 1,8% en 2015-2015, 0,7% en 2015-2016.

Ce ralentissement du rythme de croissance des dépenses, malgré ses effets spectaculaires, reste trop modeste pour freiner l'économie, d'autant plus que les investissements publics continuent d'être importants. Les conséquences macroéconomiques des politiques d'austérité, dont parle Joseph Stiglitz, sont trop faibles au Québec et au Canada pour constituer un enjeu.