La Fête nationale s'est transformée de façon importante au fil des décennies, traversant des phases qui correspondent aux étapes de la construction de l'identité québécoise. Mais ce processus n'est pas tout à fait terminé. Il reste du travail à faire pour que les célébrations du 24 juin reflètent ce qu'est devenu le Québec moderne.

La tradition des feux de la Saint-Jean remonte à l'antiquité. Ces feux sont une pratique païenne, un rituel du solstice d'été, récupéré par les chrétiens qui l'ont associé à la fête de Jean le Baptiste.

Sa célébration au Québec est relativement récente. C'est à partir de 1834 qu'elle prit une tournure patriotique, sous l'impulsion de Ludger Duvernay, fondateur de la Société Saint-Jean-Baptiste, qui a eu l'idée de faire de ce saint le patron spécial des Canadiens français.

Pendant très longtemps, cette fête était celle de tous les Canadiens français et n'avait pas de connotation territoriale. C'est d'ailleurs pour la fête de la Saint-Jean, en 1880, que le lieutenant-gouverneur de l'époque a voulu commanditer un hymne national pour les Canadiens français qui devait être chanté pour la première fois le 24 juin, à l'occasion du Congrès national des Canadiens français. Ce chant patriotique, dont les paroles ont été écrites par le juge Adolphe-Basile Routhier et la musique composée par Calixa Lavallée, c'était le Ô Canada qui, avec son «oeil de Dieu», son «fleuve géant», sa «race fière» célébrait les Canadiens français et non pas l'ensemble canadien.

La fête, longtemps religieuse, avec ses parades, son petit Saint-Jean frisé et son mouton, s'est politisée dans les années 60 avec la montée du nationalisme québécois, quand les Canadiens français sont devenus des Québécois. Cela a donné lieu à plusieurs affrontements violents, notamment en 1969 en présence de Pierre Elliott Trudeau. Elle s'est ensuite transformée, notamment sous l'impulsion de Lise Payette, en grand rassemblement musical sur le mont Royal à Montréal.

Le gouvernement Lévesque, en 1977, mit fin aux références religieuses et canadiennes-françaises pour en faire la Fête nationale du Québec. Mais depuis, elle est malgré tout restée étroitement associée au mouvement souverainiste par le choix des artistes, les discours, et par le fait que son organisation soit confiée au Mouvement national des Québécois et à la Société Saint-Jean Baptiste, deux organisations clairement partisanes de la souveraineté. C'est Mario Beaulieu, maintenant chef du Bloc québécois, un indépendantiste «hard», qui, en tant que président de la SSJB de Montréal, était le patron des fêtes pour la métropole.

Le temps est venu pour une autre mutation afin que le 24 juin reflète vraiment ce qu'est devenu le Québec et devienne une fête véritablement inclusive. D'abord, en confiant son organisation à des gens qui ne sont pas associés à un courant politique. Ensuite, en poursuivant les efforts d'ouverture.

Si la fête s'est ouverte aux autochtones et aux communautés immigrantes, elle a eu beaucoup de mal à le faire avec les anglophones, maintenant invités à condition qu'ils chantent en français, ce qui sera encore probablement le cas pour Patrick Watson et Martha Wainwright qui participeront au spectacle des plaines d'Abraham, ce soir à Québec.

Cette réticence à entendre des artistes d'ici chanter dans leur langue tient certainement au flou qui entoure toujours la signification de cette célébration. Une véritable fête nationale, inclusive? Ou une fête qui célèbre d'abord et avant tout le caractère français du Québec?

Pour que le 24 juin devienne une véritable fête nationale, celle de tous les Québécois, elle doit aussi accueillir sa principale minorité. Ce serait une façon, pour les Québécois francophones, de s'affranchir du nationalisme frileux, de montrer leur maturité et leur confiance en eux-mêmes. Et de faire en sorte que le thème de la fête de cette année, «Nous sommes le Québec», ait vraiment un sens.