Le projet d'élargir la gamme des actes que peuvent poser les pharmaciens s'annonce déjà comme un échec. Comment le ministre de la Santé, le Dr Réjean Hébert, a-t-il réussi à prendre une excellente idée, d'exécution relativement simple, pour accoucher d'un projet tout croche, péniblement improvisé?

On a l'impression que le ministre semble avoir été prisonnier d'un engrenage, autant financier qu'idéologique. Cela l'a mené à commettre quatre erreurs, en péchant par inconscience, par incohérence, par intégrisme et par indifférence.

D'abord, l'inconscience. Un projet public comporte habituellement des coûts, qu'un gouvernement aura souvent tendance à occulter. Dans ce cas-ci, il semble clair que Québec, étranglé financièrement, a cherché des façons de ne pas payer la facture.

Il était assez évident que si on confie de nouvelles tâches aux pharmaciens - faire certaines prescriptions, prolonger ou modifier celles des médecins -, il faudra les payer. On pourrait croire que cette dépense sera compensée par des économies, puisque, pour les mêmes actes, les honoraires des pharmaciens seront plus bas que ceux des médecins.

Mais si on a choisi de confier plus de tâches aux pharmaciens, c'est pour permettre aux omnipraticiens de prendre en charge plus de patients et de se consacrer davantage aux cas lourds. Un élargissement de l'offre de soins qui engendrera nécessairement des coûts supplémentaires.

Maintenant l'incohérence. Pour payer le moins possible, la stratégie de contournement concoctée par M. Hébert consiste à rémunérer les pharmaciens à travers le régime d'assurance-médicaments plutôt que l'assurance-maladie. Ça coûte moins cher parce que ce régime public n'assure que 40% des Québécois. Les autres, la majorité, sont couverts par des assureurs privés.

Cela crée une situation d'inégalité évidente. 40% des gens auront droit à ces nouveaux services. Pour les autres, mystère. Les régimes privés ne couvrent pas cela. Il faudra les renégocier, augmenter les primes. Quand? Quels services? À quel coût? On ne sait pas. Ce sera le bordel. Je ne suis pas contre le privé en santé, mais pas comme ça, pas un système de free-for-all, qui ne respecte pas les valeurs d'un régime universel.

Injuste, ce tour de passe-passe est conceptuellement incohérent. L'augmentation des pouvoirs des pharmaciens est une forme de transfert des responsabilités des médecins, qui s'opère dans le développement de la première ligne, clairement un prolongement du régime d'assurance-maladie universel.

À cela s'ajoute une erreur dans l'exécution, où l'on a péché par intégrisme. Ce sont les régimes privés qui prennent en charge le gros de l'assurance médicament. Eh bien, M. Hébert et son entourage n'ont pas jugé bon d'inclure ces assureurs dans la discussion ni même de les avertir! Cela semble procéder d'une logique bureaucratique étroite, où les ayatollahs gouvernementaux sont dans leur bulle, comme si ce qui était hors du périmètre purement public n'existait pas.

«Puisque le régime universel d'assurance médicaments au Québec est mixte, et que le régime public couvre environ 40% de la population, le secteur privé doit aussi nécessairement être sollicité pour offrir à leurs assurés une couverture de nouveaux services s'ils le souhaitent», se borne à écrire le ministre dans un communiqué. «S'ils le souhaitent?» Comme s'il laissait 60% de la population à elle-même. La mixité en santé existe dans la plupart des pays européens. Mais partout, l'État estime que c'est sa responsabilité d'encadrer les soins, peu importe qui les prodigue.

Enfin, le ministre a commis une autre erreur, en péchant par indifférence. Le but de cette réforme était d'améliorer les services aux citoyens. Mais les premières victimes de ce projet confus, qui exclut 60% des gens, ce seront ceux que le régime de santé est censé servir. Encore une fois.