En 2008, quand nos gouvernements négociaient avec le patron de la Formule 1, Bernie Ecclestone, pour le convaincre de ramener le Grand Prix à Montréal, on pouvait déjà exprimer des doutes sur la façon dont on calculait les retombées économiques de l'événement.

Cinq ans plus tard, alors qu'il faut renégocier avec le même personnage pour renouveler l'entente, on découvre qu'on fonctionne toujours avec les mêmes chiffres douteux de l'époque, dont les détails restent toujours secrets. Ce flou nous dit quelque chose.

L'idée de subventionner le Grand Prix du Canada n'est pas une décision économique, mais relève plutôt d'une profession de foi touristique et d'un calcul politique. Comme si nous étions collectivement prisonniers d'un engrenage.

Tout repose sur un fait incontestable. Le Grand Prix est le plus important événement touristique au Canada, qui attire 300 000 personnes, dont environ 40% d'étrangers. On peut comprendre que l'industrie touristique tienne à ce fleuron.

Mais il y a une sérieuse contrainte. Contrairement aux autres éléments qui attirent des touristes au Québec - festivals, paysage, atmosphère, patrimoine - le Grand Prix est un produit étranger qui ne nous appartient pas. Il faut payer son propriétaire pour qu'il accepte qu'un Grand Prix se déroule à Montréal, ce qui ouvre la porte à un fabuleux chantage.

Face à ces pressions, les politiciens sont impuissants. Il est difficile de dire non au Grand Prix, à plus forte raison en période préélectorale, comme c'était le cas en 2008 pour le gouvernement Charest, et comme ce le sera pour le gouvernement Marois.

Cela a donné une entente où les pouvoirs publics versaient 15 millions par année - 5 millions d'Ottawa, 5 millions de Tourisme Montréal, 4 millions de Québec et 1 million de Montréal -, moins 4 millions en partage de recettes. Une subvention qui allait directement dans les poches de M. Ecclestone. Une dépense publique absolument indéfendable si l'on n'arrivait pas à la justifier par des arguments économiques.

D'où le calcul des retombées qui démontrait que le Grand Prix génère une activité économique si importante que les taxes perçues remboursent la subvention. Le ministère des Finances est arrivé à un chiffre de 89,3 millions, en se basant seulement sur les dépenses effectuées par les étrangers, parce que celles des Québécois ne constituent qu'un déplacement. Mais le résultat peut varier énormément selon la précision des données initiales, sur le nombre de touristes étrangers, leurs dépenses réelles, leur portion payée au noir - taxis, prostitution, etc. Dans ce cas-ci, tout reposait sur les chiffres vagues et complaisants de Tourisme Montréal.

D'autant plus qu'on ne devrait même pas parler de retombées. Ce qu'on calcule, ce n'est rien d'autre que les dépenses touristiques, essentiellement une augmentation du taux d'occupation des hôtels, des prix des chambres plus élevés, des dépenses de restauration, surtout dans le centre-ville. Pour les effets économiques plus durables, le Grand Prix, un cirque ambulant qui repart au bout de quelques jours, ne laisse presque rien.

Reste l'argument massue, celui de la visibilité, la publicité télévisuelle dont profite Montréal, dont la fragilité devient évidente quand on pose la question à l'envers. À part Monaco, y a-t-il un site du Grand Prix où on voudrait aller parce qu'on l'a découvert à la télé? Nürburgring? Francochamps? Yeongam? Silverstone? Les villes qui accueillent ces épreuves ont cessé depuis longtemps d'être un club sélect.

Et maintenant, M. Ecclestone veut plus d'argent. Une indexation de 4%, des travaux de 25 à 45 millions. Entre 210 et 230 millions de fonds publics sur 10 ans. C'est cher payé pour être pendant quelques jours le lieu de rencontre des habitués des paradis fiscaux et le haut lieu planétaire de l'augmentation mammaire et de la consommation de champagne.