À peu près partout dans le monde industrialisé, les forces dites de gauche se battent pour qu'on injecte plus de fonds publics en éducation, et plus particulièrement dans l'enseignement supérieur, au nom du progrès social. Et ce sont des forces dites de droite, au nom des contraintes des finances publiques et pour réduire la taille de l'État qui défendront le point de vue contraire.

Au Québec, c'est maintenant le contraire. Ce sont les associations étudiantes, avec leurs alliés, qui, à la surprise générale, ont remis en question le consensus sur l'existence d'un sous-financement des universités québécoises quand on les compare au reste du Canada.

En contestant l'existence d'un sous-financement, les associations étudiantes crachent dans la soupe. En toute logique, elles devraient souhaiter qu'on injecte plus de fonds dans les universités, pour la qualité de l'enseignement, l'embauche des professeurs, les locaux, les services aux étudiants ou les bourses de recherche.

Ce paradoxe est un sous-produit imprévu de la lutte des carrés rouges. Le gouvernement libéral justifiait la hausse des droits de scolarité par la nécessité de faire participer les étudiants à la réduction du sous-financement des universités. La parade étudiante a consisté à nier ce sous-financement, pour démontrer que les hausses d'étaient pas nécessaires.

Ce déplacement du débat a toutes sortes de conséquences. La première, c'est que les étudiants se sont trouvés, dans une étrange alliance, à fournir des arguments à la partie de la population la plus hostile à leur cause, le courant, très présent au Québec, de tous ceux qui ne croient pas à l'éducation, au savoir, aux universités, et qui trouvent qu'on dépense déjà trop d'argent là-dedans.

L'autre conséquence, c'est d'avoir déplacé le débat. Une fois qu'on avait affirmé que les universités n'étaient pas sous-financées, il fallait quand même prendre acte du fait qu'elles manquaient cruellement de ressources. D'où l'autre volet de l'argumentaire, consistant à dire que les besoins pourraient être comblés par une meilleure gestion et une élimination du gaspillage. C'est le thème de la troisième rencontre préparatoire au Sommet sur l'enseignement supérieur, hier soir et aujourd'hui à Sherbrooke.

Qu'il y ait de la mauvaise gestion dans les universités, nul n'en doute. Il y a eu d'évidentes dérives dans la façon dont elles ont multiplié les filiales sur le territoire québécois. Mais est-ce que c'est pire qu'ailleurs? Et est-ce que le resserrement de la gestion permettrait de dégager des sommes substantielles? On peut monter en épingle certains cas anecdotiques, mais l'expérience de la lutte au déficit dans le secteur public montre que le véritable gaspillage, dont l'élimination n'a pas de conséquences, est très rare. Les efforts de redressement affectent invariablement les services. Les étudiants en seront les premières victimes après avoir, encore une fois, craché dans la soupe.

Il faut noter que cet enjeu de la gestion cache une autre bataille, celle du pouvoir, où les étudiants, en cela appuyés par les syndicats et le corps professoral, voudraient exercer un plus grand contrôle sur leurs institutions. Rappelons méchamment que le symbole même de mauvaise gestion universitaire, le fiasco de l'îlot Voyageur, a été provoqué par Roch Denis, un leader syndical qui a été élu recteur de l'UQAM grâce à l'appui des étudiants et des syndicats.

L'insistance sur la gestion a une dernière conséquence, et c'est d'avoir créé une nouvelle polarisation. Ce sont maintenant les recteurs qui sont constamment sur la sellette, non pas parce que leur bilan est abominable, mais parce qu'ils comblent un vide. Ils jouent à leur corps défendant le rôle de «méchants», parce que, depuis la défaite du gouvernement libéral, les forces qui se sont mobilisées dans ce débat avaient besoin d'un nouvel ennemi commun.