J'ai eu un drôle de feeling, comme on le dit dans une langue étrangère, en voyant notre première ministre, Pauline Marois, sur les marches de l'Élysée. Un sentiment de déjà vu. L'impression d'être prisonnier d'une boucle temporelle, où nous sommes condamnés de vivre et de revivre les mêmes événements, décennie après décennie. Comme si le Québec était figé dans le temps.

Ce que Mme Marois faisait à l'Élysée, c'était une espèce de pèlerinage, où elle allait quémander au président français François Hollande une forme d'encouragement à sa cause, dans l'éventualité d'une hypothétique victoire d'un Oui à un non moins hypothétique référendum sur la souveraineté.

Mme Marois et son ministre des Relations internationales, Jean-François Lisée, peuvent sans doute être contents d'avoir arraché au président François Hollande un retour à la thèse du «ni-ni», la position française de neutralité bienveillante, «non-ingérence, non-indifférence», avec laquelle son prédécesseur Nicolas Sarkozy avait rompu avec sa brutalité habituelle.

Mais est-ce que cette petite victoire des souverainistes sèmera la consternation chez leurs adversaires, que ce soit le gouvernement fédéral ou les deux partis québécois qui s'opposent à la souveraineté? Absolument pas. Parce que c'est un dossier qui suscite la plus totale indifférence chez à peu près tout le monde. Sauf peut-être pour ressentir une certaine gêne à l'égard de cette culture de la dépendance, et regretter que Mme Marois préfère parler de gouvernance souverainiste au président français plutôt que de libre-échange, de mobilité de la main-d'oeuvre ou de gestion du système de santé.

La chose n'intéresse qu'une poignée de stratèges souverainistes qui, depuis des années, ont cultivé les liens avec la France en préparation du grand soir. Comme le ministre Lisée, pour qui il est important que «les Américains, les Canadiens et d'autres sachent que, quelque part, la France, la quatrième puissance mondiale, réitère constamment sa solidarité avec les décisions québécoises. Cela fait partie de notre capital politique.»

Mais pour tous ceux qui ne sont pas dans la même bulle, il est difficile de ne pas trouver surréalistes ces efforts pour enregistrer une victoire mineure à Paris quand on essuie des échecs au Québec, en commençant par l'incapacité de former un gouvernement majoritaire. C'est quand même ici que ça se passe.

Tout le monde le sait, y compris les socialistes français. Quand M. Hollande professe sa solidarité et son amitié à Mme Marois, on suppose qu'il s'adresse, à travers elle, à l'ensemble des Québécois et des Québécoises, et que, dans cette logique, il accompagnera tout autant le Québécois dans leur désir très majoritaire de ne pas s'engager sur la voie de la souveraineté.

Mais il y a toujours quelque chose de distrayant à cette histoire, et c'est le fait qu'elle nourrit un sous-genre de l'analyse politique qui consiste à décortiquer le sens caché de ces visites, un peu comme le font les sinologues ou les spécialistes de la Corée pour décoder les méandres du pouvoir dans ces pays opaques.

On a pu aussi noter la longueur de la visite, 45 minutes, et la comparer avec les précédentes. Ou encore le fait que M. Hollande, tout en disant que la formule «prévaut encore aujourd'hui», n'a pas spécifiquement prononcé les mots magiques «non-ingérence, non-indifférence». Est-ce un hasard, ou le calcul d'un politicien prudent?

Des commentateurs ont aussi remarqué que le président Hollande avait fait la bise à Mme Marois plutôt que de lui serrer la main. Il est vrai que M. Sarkozy n'avait pas donné de bisous à Jean Charest. Mais est-ce un signe d'un rapprochement politique ou tout simplement l'expression de la galanterie légendaire de nos cousins?