Quel étrange sondage que le CROP dans La Presse de samedi. 68% des Québécois disent être d'accord avec la suspension des cours jusqu'en août. 64% appuient l'interdiction de manifester à moins de 50 mètres des institutions. 71% sont d'accord avec l'obligation de fournir l'itinéraire d'une manif huit heures à l'avance. 77% trouvent que les policiers font un bon travail. Et 64% sont d'accord avec la hausse des droits de scolarité.

Les citoyens appuient donc massivement les dispositions de la loi spéciale, sauf les amendes salées pour les associations étudiantes. Mais quand on leur demande s'ils approuvent la loi spéciale 78, à peine 51% disent oui. Cherchez l'erreur.

En fait, il n'y en a pas. Ces réponses en apparence contradictoires nous disent que les Québécois préfèrent les solutions harmonieuses. Et qu'ils n'aiment pas l'échec. Ils veulent que la crise se règle, et ce qu'ils n'aiment pas dans la loi 78, c'est que, pour 80% d'entre eux, elle ne mettra pas fin à la crise.

Ces résultats reflètent aussi l'impopularité des libéraux et l'insatisfaction quant à la façon dont ils ont géré ce dossier. Ce 51% d'appui à la loi 78, c'est surtout un désaveu du gouvernement Charest. S'il n'était pas si usé, si son image n'était pas autant ternie par tout le scandale de la construction, nous n'en serions pas là.

Car ces chiffres montrent aussi à quel point la coupure est grande entre la population et la rue. Les gens appuient les hausses, ils appuient les mesures musclées, ils appuient le travail de la police. Une forte majorité de Québécois sont donc à mille lieues du discours des manifestants étudiants et de leurs alliés.

Mais cela ne nous rapproche pas autant d'une solution. Parce que même si les gens sont d'accord avec le gouvernement, ils ne lui font pas confiance. Et parce que les étudiants et leurs alliés sont devenus un regroupement circonstanciel de forces d'opposition au gouvernement Charest. Comment celui-ci peut-il établir un dialogue fructueux avec des forces qui, dans le fond, souhaitent son renversement?

Cela dit, ce conflit dépasse le gouvernement Charest. Il exprime, chez les militants, une désillusion à l'égard du monde politique dans son ensemble. On le voit entre autres du fait que cette crise, pourtant intense, n'a pas d'impact sur les intentions de vote. Dans notre sondage CROP, les libéraux ne perdent pas de plumes, les péquistes ne gagnent pas vraiment de terrain et Québec solidaire fait du sur-place.

Ce mouvement, peu structuré, marque plutôt une victoire de la passion sur la raison. Les arguments factuels, très défavorables aux étudiants, ont été rapidement balayés, parce que le débat s'est déplacé sur le terrain des émotions. Difficile de discuter avec une casserole!

Ce glissement du débat, on le voit très bien dans le clivage entre les points de vue des journalistes qui signent des textes d'opinion dans La Presse. Les chroniques d'humeur appuient le mouvement étudiant et les textes analytiques approuvent les hausses.

Bien des gens se réjouissent de cette irruption de l'irrationnel dans le débat public. Pas moi. Parce que la «rue», ça peut produire des surprises. Et parce que le discours sous-jacent n'annonce pas un monde nouveau.

Les étudiants se sont lancés dans une bataille corporatiste très classique, la même que celle des générations d'étudiants qui les ont précédés. Cette bataille s'est élargie à la défense du modèle québécois où l'on retrouve, presque mot à mot, à peu près tous les lieux communs que débitent depuis 30 ans des «forces vives» comme la CSN. Le mouvement étudiant a été très innovant sur la forme. Mais sur le fond, derrière le bruit des casseroles, il propose un désespérant sur-place.