Le vote écrasant du Parlement européen pour interdire la vente des produits du phoque sur le territoire de la communauté européenne, même s'il est un choc pour les pêcheurs de Terre-Neuve et des Îles-de-la-Madeleine, ne devrait pas être une grande surprise.

C'était écrit dans le ciel que les «amis des animaux» remporteraient cette bataille. Parce que le Parlement européen est le lieu idéal pour mener avec succès ce genre de combat. Et parce que la protection des phoques est le prototype des causes dites justes qui enflamment l'imagination et qui donnent bonne conscience à peu de frais.

 

Tout d'abord, il faut se souvenir que le Parlement européen n'est pas une institution particulièrement sérieuse. Les processus électoraux européens en font un refuge pour des forces politiques souvent marginales, des verts à l'extrême-droite, ce qui en fait une institution très fragmentée. Et comme les grandes décisions qui structurent l'Europe se prennent le plus souvent en d'autres lieux, notamment à travers les relations entre les États, ce parlement a souvent tendance à se mobiliser sur l'accessoire.

Pour cette institution qui se cherche, la protection de ces petits mammifères à la fourrure douce est une cause en or, qui lui a permis de se rapprocher de l'unanimité; l'interdiction de vente des produits du phoque a été approuvée à 550 voix contre 49. Ce combat comporte les quatre ingrédients qui assurent le succès: la dimension affective, la force de l'image, les avantages de la distance et l'absence de conséquences.

La première de ces éléments, c'est ce qu'on pourrait appeler le facteur «nounours». Les animaux que l'on veut protéger sont ceux avec lequel le grand public pour établir un lien affectif. Comme les pandas. Même si les phoques ne sont pas menacés, leurs bébés, doux et mignons, susciteront plus de sympathie que d'obscures espèces en voie d'extinction.

Le second facteur, c'est l'image. En cette ère médiatique, les batailles doivent être télévisuelles. La chasse aux phoques est «répugnante», comme l'ont dit les parlementaires, en raison du contraste saisissant du sang rouge sur la banquise blanche. Dans le temps du noir et blanc, ce combat aurait été un flop.

La troisième loi, c'est celle de la distance.Une bataille pour une cause liée directement ou indirectement au sort de la planète aura souvent plus de chances d'être couronnée de succès si son objet est lointain. Parce que la distance nourrit l'ignorance, qu'elle permet de tourner les coins ronds, parce qu'il n'y aura pas d'impacts concrets, parce que cela permet l'expression d'un certain ethnocentrisme en s'indignant des turpitudes des autres.

Le Québec en sait quelque chose, avec tous ces Américains qui ont débarqué ici pour dénoncer l'hydroélectricité, quand leur zèle environnemental aurait été mieux canalisé s'il s'était concentré sur leurs infâmes centrales au charbon. Dans le cas des phoques, le romantisme, la distance, la banquise font oublier que si cette chasse est répugnante, elle ne l'est pas plus que toutes les activités d'abattage où l'on tue, où les bêtes crient, où l'on dépèce, où il y a du sang et des entrailles.

La quatrième loi, c'est celle de l'inutilité. La protection de la planète exige des sacrifices et des changements de comportement. Les belles causes, ce sont donc celles qui n'ont pas de coût. Le commerce des produits du phoque est insignifiant en Europe et n'atteint que 6 millions. L'interdiction ne change rien au quotidien des gens tout en leur permettant d'avoir bonne conscience. On pourra manger du foie gras de canards gavés, ou soutenir les pêcheurs qui luttent contre les quotas de morue tout en ayant le sentiment du devoir accompli.