C'est lors d'évènements publics tenus en août dernier, d'abord en Ohio puis en Pennsylvanie, que Donald Trump a évoqué pour la première fois l'éventualité d'une fraude électorale susceptible de l'exclure de la présidence.

« On a intérêt à être vigilants le 8 novembre, parce que cette élection sera truquée », a-t-il averti en Ohio, avant d'appeler les militants républicains à suivre la situation de près, à défaut de quoi ils risquent de se faire « voler » ce scrutin.

« La seule manière pour nous de perdre ce vote, c'est s'il y a de la fraude », a-t-il ajouté quelques jours plus tard, à l'occasion d'une visite dans l'État voisin.

À mesure que les sondages lui devenaient de moins en moins favorables, Donald Trump a multiplié les déclarations visant à saper la crédibilité du système démocratique américain en général, et celle du vote de novembre en particulier.

Jusqu'à sa fameuse déclaration au lendemain du troisième débat avec Hillary Clinton, alors qu'il s'est dit prêt à reconnaître les résultats du vote... seulement s'ils lui attribuent la victoire.

Ce refus de reconnaître l'éventualité de la victoire de la candidate démocrate n'est pas seulement infantile et ridicule. Il est aussi dangereux.

Dans les semaines qui ont suivi ces déclarations, on a vu un partisan de Donald Trump se placer devant un bureau du Parti démocrate de la Virginie, arme au poing, pendant plus de 10 heures. Un shérif de Milwaukee a appelé les gens à prendre « les fourches et les torches » si jamais le vote devait tourner en faveur de Hillary Clinton.

Chauffés à blanc, convaincus que la défaite - vraisemblable, mais non acquise - de Donald Trump ne peut que résulter d'un vaste complot, ses partisans iront-ils jusqu'à descendre dans les rues pour exprimer leur mécontentement ?

Ce qui est clair, c'est que cette hypothèse fait planer une ombre d'inquiétude sur les lendemains de la présidentielle américaine.

« Donald Trump a mis en place des bombes à retardement », écrit Jamelle Bouie, correspondant politique de Slate.

Au cours des derniers jours, le New York Times a recueilli des propos troublants parmi une cinquantaine de militants pro-Trump dans différents coins des États-Unis. Dans les citations publiées par le journal, des électeurs républicains affirment que les gens feront ce qu'il faut « pour empêcher Hillary Clinton de siéger », que la victoire de la candidate démocrate entraînera « une guerre révolutionnaire », que cette éventualité risque de causer des émeutes généralisées, etc.

La plupart des partisans de Donald Trump cités par le New York Times ne disent pas qu'ils prendront eux-mêmes les « fourches et les torches ». Mais ils considèrent le scénario d'une épidémie de violence comme une quasi-fatalité.

Ce climat est d'autant plus explosif que les rangs des partisans pro-Trump comptent des gens peu fréquentables, comme le néonazi Andrew Anglin ou le blogueur d'extrême droite Kevin Macdonald. Exception faite de l'ex-chef du Ku Klux Klan David Duke, aucun de ces appuis n'a été désavoué par le candidat républicain.

Ajoutez-y les sources d'information « alternatives » comme le réseau Breitbart News, qui publie des articles donnant Donald Trump largement en avance et dénonce les grands médias qui « empoisonnent l'esprit des électeurs ».

Ajoutez, enfin, quelques autres déclarations de Donald Trump, montrant du doigt d'une manière plus ou moins explicite les responsables de son éventuelle défaite, soit les électeurs des quartiers noirs de Philadelphie. Ou alors son allusion aux « gens du Deuxième Amendement » qui, seuls, pourraient stopper Hillary Clinton - et vous obtenez un cocktail hautement inflammable qui n'attend qu'une étincelle pour s'embraser.

Le Deuxième Amendement de la Constitution des États-Unis, faut-il le rappeler, garantit la liberté d'acheter et de posséder des armes à feu. On ignore ce que Donald Trump a voulu dire précisément avec sa référence, mais il n'est pas tout à fait farfelu d'y lire un appel indirect à prendre les armes...

« Tout ça risque de mal finir », écrit Gabriel Schoenfeld, chercheur affilié à l'Institut Hudson et ancien conseiller du candidat républicain à la présidentielle de 2012, Mitt Romney, dans un article paru début octobre dans le New York Daily News.

« L'histoire américaine a été ponctuée par des émeutes violentes et des assassinats, y poursuit-il. Nous avons connu une période relativement calme depuis les années 60, mais la paix sociale n'est pas acquise. » 

« À mesure que la campagne de Trump s'enfonce, nous ne devrions pas nous étonner de voir couler le sang. »

- Gabriel Schoenfeld, chercheur affilié à l'Institut Hudson et ancien conseiller de Mitt Romney

« C'est impossible d'estimer la probabilité d'une explosion de violence », note Gabriel Schoenfeld en entrevue téléphonique. Mais il explique qu'en soufflant sur le feu, Donald Trump a réussi à convaincre un fort pourcentage d'électeurs qu'ils risquent de se faire voler leur vote, le 8 novembre.

« Ces gens sont en colère aujourd'hui, ils le seront encore plus après le 8 novembre. » À moins d'une victoire de Donald Trump, bien sûr.

Jusqu'où ira cette colère ? Gabriel Schoenfeld est-il trop alarmiste ? Cette campagne électorale a déjà défriché tant de terrains inconnus, et banalisé ce qui paraissait impensable il y a tout juste un an, que je ne me risquerai pas à me lancer dans des prédictions sur les lendemains électoraux.

Disons simplement que le discours que prononcera Donald Trump, en cas de défaite, sera déterminant pour la suite des choses.