Dans un article récent, Le Figaro présentait le premier ministre Justin Trudeau et son homologue hexagonal Manuel Valls comme de « faux amis ».

Les deux hommes se rapprochent par leur âge, relativement jeune, leur talent de communicateur et leur sens de la stratégie. Mais au-delà de ces similitudes, ils se distinguent par des positions diamétralement opposées sur des enjeux de fond, affirmait le quotidien français.

À entendre le premier ministre français évoquer ses discussions avec Justin Trudeau, à l'occasion d'un petit-déjeuner de presse organisé jeudi à Ottawa, on avait le sentiment que, tout compte fait, la complicité l'emportait sur les divergences.

Entre la salade de fruits et les croissants, le premier ministre Valls a fini par désigner Justin Trudeau simplement par son prénom. « On en souriait avec Justin jeudi », a-t-il laissé tomber, en commentant la campagne présidentielle aux États-Unis. « Justin évoquait avec moi le risque de radicalisation des deuxième et troisième générations d'immigrants. »

C'était Justin par-ci, Justin par-là. Et peut-être qu'effectivement, dans la dynamique internationale actuelle, les différences de position entre les deux hommes ne pèsent pas si lourd que ça.

Je vous rappelle que Manuel Valls avait appuyé les décrets adoptés en rafale par une trentaine de villes françaises pour interdire le port du burkini - un maillot de bain recouvrant les cheveux, les bras et les jambes. Jeudi, le premier ministre Valls marchait sur des oeufs pour défendre cette politique et expliquer sa position sur les signes religieux.

Certains d'entre eux « sont moins des signes religieux que des revendications politiques et culturelles », a-t-il affirmé d'entrée de jeu.

Avant de reconnaître que le burkini n'est ni la burqa ni le niqab, ces vêtements qui cachent le visage et dont le port en public est illégal en France.

« On ne peut pas avoir une loi qui redéfinisse la manière de s'habiller sur une plage, parce qu'on va entrer dans un débat qui ne s'arrêtera pas. »

- Manuel Valls, premier ministre français

Mais pour de nombreux maires touchés par les récents attentats en France, le port du burkini représente un « acte de provocation. » Il les comprend, donc, d'avoir voulu chasser ces vêtements de leurs plages. Il les appuie sans vouloir généraliser ces restrictions vestimentaires par une loi. Tout en s'étonnant qu'il y ait des gens, en Occident, pour revendiquer le port du voile ou du burkini au nom de la liberté religieuse.

« On peut s'habiller comme on veut, mais attention, il y a des débats symboliques... »

Cette position mi-figue, mi-raisin est aux antipodes de celle de Justin Trudeau, qui affiche un multiculturalisme tolérant, et qui n'a pas hésité à se pointer dans une mosquée pratiquant la ségrégation des sexes pour souligner la fête de l'Aïd.

Le Canada s'est aussi montré proportionnellement plus généreux dans l'accueil de réfugiés syriens (25 000, contre les 10 000 accueillis jusqu'à maintenant en France). Jeudi, Manuel Valls a défendu le droit d'asile, mais on l'avait vu prôner des positions beaucoup plus dures en pleine crise des réfugiés.

Cela dit, les relations intercommunautaires et la politique d'asile restent des questions de régie interne. Et les deux hommes sont beaucoup plus proches sur des enjeux internationaux comme le traité de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, qui doit être signé le 27 octobre à Bruxelles - et qui se heurte à la résistance de la Wallonie.

La France accueille aussi d'un bon oeil la promesse canadienne de contribuer à ses opérations militaires au Sahel - dans un rôle de formation et de soutien logistique. Mais surtout, elle se réjouit du rôle positif que le Canada de Justin Trudeau joue dans la lutte contre les changements climatiques.

Au-delà de ces collaborations concrètes, on devine aussi une complicité entre deux hommes qui appartiennent presque à la même génération (44 ans pour Justin Trudeau, 54 pour Manuel Valls.)

« Le monde a besoin de jeunes dirigeants positifs », a dit Manuel Valls, vantant l'optimisme de son homologue canadien.

***

Autant le premier ministre français se perdait dans des circonvolutions sémantiques sur la question des signes religieux, autant il n'a pas hésité à mettre de côté ses bémols diplomatiques pour critiquer la politique russe en Syrie, et prendre position dans la campagne en vue de l'élection du prochain président des États-Unis.

La semaine dernière, la Russie a opposé son veto à la résolution française appelant à un cessez-le-feu à Alep, une ville qui agonise sous les attaques du régime syrien... mais aussi sous les bombes russes.

« L'attitude de la Russie est incompréhensible, elle n'est pas à la hauteur de la responsabilité d'un grand pays. »

- Manuel Valls, premier ministre français

Manuel Valls a aussi dénoncé le pilonnage de cibles civiles, incluant des hôpitaux, qu'il a assimilé à un crime de guerre passible de poursuites devant la justice internationale.

Le premier ministre Valls trouve d'ailleurs « préoccupant » le rôle que semble jouer la Russie dans l'élection présidentielle américaine en faveur de Donald Trump. Dans une déclaration d'une franchise étonnante, et qui tranche avec la prudence affichée par Justin Trudeau, Manuel Valls a dit souhaiter la victoire de Hillary Clinton, une candidate connue pour son « sérieux et son efficacité », qui ne mènerait pas les États-Unis dans une aventure aux conséquences imprévisibles.

Autant Barack Obama a été « élu par le monde », autant Donald Trump est rejeté par la planète, a fait valoir Manuel Valls. Mais dans cette élection, ce n'est pas la planète qui vote...