Ça fait six jours que le ciel se tait au-dessus d'Alep. Six jours que la trêve tient, que les habitants de la deuxième ville syrienne ont recommencé à sortir de chez eux, à aller au souk, à envoyer leurs enfants dans les rares écoles qui ont ouvert leurs portes.

Le chirurgien Osama Abo El Ezz profite de ce cessez-le-feu pour soigner des patients « normaux », ceux qui avaient dû mettre leurs bobos de côté pendant que les bombes de Bachar al-Assad pleuvaient sur la partie est de la ville - celle qui est contrôlée par les rebelles.

Hier, le chirurgien de 32 ans a donc opéré deux patients pour des hernies, un autre pour des problèmes aux reins. Puis, pour la troisième fois depuis une semaine, il s'est penché sur le ventre déchiré de Yahya, un gamin de 5 ans qui a été blessé jeudi dernier, quelques heures avant l'entrée en vigueur du cessez-le-feu.

Ce jour-là, le garçon s'était rendu près d'une source communautaire où les habitants d'Alep s'approvisionnaient en eau pendant les deux semaines de bombardements intensifs qui ont ravagé la ville entre le 22 avril et le 5 mai derniers.

Quand l'attaque a commencé, plusieurs enfants étaient rassemblés autour du point d'eau. Presque tous ont été tués. Yahya, lui, a survécu, mais de peine et de misère. Après trois opérations et des transfusions sanguines, il ballote toujours entre la vie et la mort.

« Et comme il est conscient, il souffre énormément », confie Osama Abo El Ezz, qui a fini son intervention chirurgicale d'hier juste à temps pour notre rendez-vous téléphonique...

Photo Hosam Katan, Archives Reuters

Entre le 22 avril et le 5 mai, la ville d’Alep, en Syrie, a été la cible de bombardements intensifs. La trêve observée depuis jeudi dernier doit expirer aujourd’hui à minuit, ce qui fait craindre le pire aux Aleppins.

Ils sont trois chirurgiens à se relayer au chevet des patients. Pendant les bombardements, c'était l'enfer : ils devaient choisir entre les blessés qu'ils allaient soigner et ceux qu'ils allaient laisser mourir.

« À Alep, il n'y a même plus assez de cercueils pour enterrer les morts », avait écrit le jeune médecin dans un poignant cri du coeur publié dans le New York Times. C'était au lendemain du bombardement de l'hôpital Al Quds, soutenu par Médecins sans frontières, où le Dr Abo El Ezz a perdu deux de ses amis, dont le pédiatre Muhammad Wassim Moaz.

Osama Abo El Ezz est originaire de la partie occidentale d'Alep, celle qui est contrôlée par Damas. Il a traversé de l'autre côté quand les opposants ont investi la partie orientale, en 2012. Depuis, il a conduit sa femme et ses trois jeunes enfants en Turquie, où il les rejoint quand il n'est pas en train d'opérer à Alep.

Il reste l'un des 30 rares médecins à offrir leurs services à une population d'environ 300 000 personnes. Un médecin pour 10 000 habitants : une goutte d'eau dans un océan de besoins.

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Pendant les bombardements, Osama Abo El Ezz opérait 16 heures sur 24. C'est à peine s'il dormait entre deux interventions. « Les corps s'accumulaient dans les rues, nous pouvions recevoir jusqu'à 40 blessés à la fois », se souvient-il avec horreur.

« Ces jours-ci, nous profitons de l'accalmie pour soigner les blessés et faire du rattrapage auprès d'autres patients », dit-il. Mais aussi pour se préparer pour le prochain round...

Car à Alep, peu de gens croient que ce cessez-le-feu est là pour durer. « Déjà, le régime de Bachar al-Assad encercle la ville et contrôle presque toutes les routes, et je ne lui fais aucunement confiance », dit Osama Abo El Ezz. Il est convaincu que la trêve, qui doit expirer aujourd'hui à minuit, mais qui a déjà été prolongée à deux reprises, n'est en réalité qu'un répit. Que le régime veut en profiter pour mettre en place une ultime offensive pour reprendre le contrôle de la ville.

Les bombardements meurtriers de ce printemps font partie de cette stratégie, selon lui : c'est une manière de chasser les derniers civils de cette ville qui a déjà compté plus de 2 millions de personnes. Mais les Aleppins ne partent plus : « Ceux qui sont restés sont parmi les plus pauvres, ceux qui n'avaient pas les moyens de quitter. »

Son hôpital a entrepris, lui aussi, de monter ses provisions de médicaments, de matériel médical et de nourriture sèche : tout ce qu'il faut pour pouvoir tenir un siège de six mois.

Mais surtout, dit le chirurgien, il espère pouvoir déménager dans un abri souterrain qui serait construit dans la cour d'une école voisine.

Pour l'instant, les travaux n'ont pas commencé. Mais l'hôpital est soutenu par la Société médicale syro-américaine (SAMS), une ONG dont le siège est aux États-Unis et qui fournit de l'aide médicale à la Syrie. Et qui a déjà installé sous terre six autres hôpitaux syriens. L'hôpital d'Osama Abo El Ezz est le prochain sur sa liste - dès qu'elle aura recueilli l'argent nécessaire.

Tous les matins, en voyant le ciel paisible au-dessus d'Alep, le Dr Osama Abo El Ezz pousse un soupir de soulagement : pour l'instant, la trêve tient bon. Mais il a l'impression d'être engagé dans une course contre la montre dans une ville abandonnée par la planète. Une course pour que son hôpital puisse tenir le coup quand le ciel grondera à nouveau.