Il ne s'était pas passé une journée depuis sa victoire libérale de lundi que Justin Trudeau a fait un geste marquant une double rupture avec l'ère Harper. Il s'est entretenu avec le président Barack Obama pour l'assurer de son intention de raviver les relations diplomatiques entre les deux pays. Tout en lui annonçant, entre autres, son intention de suspendre la participation du Canada aux frappes contre le groupe État islamique en Syrie et en Irak.

Après dix ans de règne conservateur, les relations entre Ottawa et Washington avaient atteint un creux historique. À un point tel que lorsque Stephen Harper a prétendu avoir tissé des relations « productives » avec les États-Unis, des rires ont fusé dans l'auditoire de l'Institut Munk, où avait lieu le débat sur la politique étrangère canadienne, fin septembre.

Pour retrouver un coup de froid semblable, il faut remonter aux relations cahoteuses entre le président Nixon et Pierre Elliott Trudeau, dans les années 1970, estime l'ancien diplomate Paul Heinbecker.

Au coeur des tensions, il y a le projet d'oléoduc Keystone, que le gouvernement conservateur s'est entêté à imposer aux États-Unis - avec l'insuccès que l'on sait. Mais il y a infiniment plus. Quand l'administration Obama a organisé une conférence sur les changements climatiques dans l'Arctique, le gouvernement Harper n'y a même pas dépêché de ministre, ce qui lui a attiré des critiques publiques du secrétaire d'État John Kerry. Quand Washington a voulu recueillir l'appui des pays du G20 derrière une résolution demandant à Israël de respecter les frontières de 1967, le seul pays à s'y opposer, c'était le Canada.

Ce n'est pas pour rien qu'une collaboratrice de Hillary Clinton s'est réjouie de l'élection du « progressiste » Justin Trudeau, sur Twitter, hier soir.

Aux yeux de l'administration Obama, le Canada de Stephen Harper était devenu un mauvais élève pratiquant l'obstruction systématique, particulièrement sur la question des changements climatiques, cruciale pour le président Obama.

En s'entretenant avec le président Obama dès le lendemain de son élection, et en annonçant immédiatement le retrait des militaires canadiens d'Irak et de Syrie, Justin Trudeau a donné le ton : sa politique étrangère tranchera avec celle de son prédécesseur. S'il veut vraiment réparer les dégâts que le gouvernement Harper a infligés à la stature internationale du Canada pendant son règne, transformant un pays traditionnellement influent en un nain international, eh bien, il a du pain sur la planche.

Ses priorités ? En plus de réparer les liens avec la Maison-Blanche, il devrait donner signe de vie au président du Mexique, Enrique Peña Nieto, croit Paul Heinbecker. Car sous les conservateurs, Ottawa s'est également mis à dos son deuxième partenaire au sein de l'ALENA en lui imposant une politique de visas qui rend les voyages au Canada quasi impossibles pour bien des Mexicains...

Mais il n'y a pas que les relations bilatérales. En une décennie, le Canada s'est aliéné les plus importantes institutions internationales, à commencer par l'ONU. « Le Canada est plus isolé qu'il ne l'a jamais été depuis 75 ans », constate Paul Heinbecker.

« Depuis neuf ans, nous tournons le dos au multilatéralisme », déplore Errol Mendes, professeur de droit international à l'Université d'Ottawa. Attelez-vous, la liste est longue : le Canada a quitté le protocole de Kyoto et la Convention sur la lutte contre la désertification, refusé de signer le Traité sur le commerce des armes et le Protocole facultatif à la Convention contre la torture. Il a réaligné la politique canadienne d'aide internationale, délaissant les pays qui en ont le plus besoin, et la soumettant à des impératifs idéologiques. La grande contribution du gouvernement Harper à cet égard est le programme de santé maternelle - qui exclut les services de contraception et d'avortement !

Avec le temps, Stephen Harper s'est fait beaucoup d'ennemis sur la scène internationale. Il a payé la facture quand le Canada a été écarté du Conseil de sécurité, il y a cinq ans.

Ses rares amitiés, elles, sont plutôt douteuses. L'appui indéfectible qu'il a donné au gouvernement de Benyamin Nétanyahou, en Israël, a mis en miettes la traditionnelle politique canadienne de neutralité au Proche-Orient. Cette amitié fusionnelle a poussé Ottawa vers des décisions irrationnelles, comme la rupture des relations avec l'Iran, en pleines négociations nucléaires avec ce pays.

Et encore, je ne parle pas de la manière dont Ottawa a traité Omar Khadr ni de sa réponse ridiculement minimaliste à la crise des réfugiés.

En matière de relations internationales, Stephen Harper laisse derrière lui un champ de ruines. Et son successeur a une immense côte à remonter.

En plus de restaurer le dialogue avec la Maison-Blanche, avec le Mexique et avec quelques autres partenaires délaissés, il devra reprendre sa place dans les institutions internationales, signer les traités qu'il n'a pas signés et respecter ceux auxquels il adhère, cesser de flatter la droite israélienne dans le sens du poil, s'engager pleinement dans les négociations climatiques, renouer avec l'Iran et faire sa juste part dans l'accueil des réfugiés. Surtout, il devra cesser d'orienter sa politique étrangère sur des considérations purement idéologiques ou des intérêts partisans, arrêter d'appuyer sur les freins et retrouver son rôle de leader parmi ses partenaires internationaux.

Le prochain sommet du G8, en Turquie, et la conférence climatique de Paris, en décembre, seront autant d'occasions de confirmer les premiers signaux marquant notre retour dans le concert des nations.