Il y a la manière. Et il y a le fond. Avec son discours de 41 minutes devant le Congrès américain, mardi, Benyamin Nétanyahou a été en dessous de tout sur les deux plans.

Commençons par la manière. Deuxième dirigeant étranger à avoir eu l'occasion de se présenter à trois reprises devant cette prestigieuse tribune, le premier ministre d'Israël en a profité pour insulter le président des États-Unis et tenter de saboter une décennie d'efforts internationaux pour parvenir à un accord nucléaire avec l'Iran.

On est ici au-delà de la chutzpah, ce mot yiddish qui désigne l'audace, le culot, voire l'effronterie. Parlons plutôt d'inélégance, de grossièreté et d'une condescendance sans nom.

Maintenant, le fond. À deux semaines d'un scrutin législatif dont l'issue est moins certaine qu'il n'y paraissait au début de la campagne électorale, le dirigeant israélien a brandi l'Iran comme un épouvantail, source de tous les maux et cause de l'annihilation prochaine de l'État hébreu.

Ce n'est pas la première fois que ce leader de la droite israélienne instrumentalise la menace iranienne à des fins électorales. Je me souviens d'avoir assisté à une assemblée de son parti, le Likoud, à Jérusalem, à quelques jours des élections de février 2009. Une salle bondée, des discours enflammés montrant du doigt Téhéran et annonçant l'arrivée imminente de la bombe atomique iranienne.

En fait, il y a plus de 20 ans que ce vieux routier de la politique israélienne prédit que les Iraniens auront la bombe «d'ici trois à cinq ans». En septembre 2012, il avait appuyé ses propos par un graphique démontrant que l'arme suprême iranienne était déjà construite à 70% - estimation aussitôt niée par les services secrets israéliens.

Ça ne signifie pas que l'Iran ne caresse pas l'idée de se doter de l'arme nucléaire. Mais ça montre que Benyamin Nétanyahou exagère cette menace et s'en sert à des fins politiques. N'hésitant pas à écorcher la vérité au passage.

«Le régime iranien est plus radical que jamais» a clamé le leader israélien devant les élus de Washington. Faux. En juin 2013, les Iraniens ont porté au pouvoir Hassan Rohani, un président qui, à l'échelle iranienne, est un modéré, ouvert au dialogue et aux négociations, soucieux de relancer l'économie de son pays étranglé par les sanctions en échange d'un compromis sur le programme nucléaire.

L'influence du président iranien est limitée par le pouvoir théocratique incarné par le guide suprême Ali Khamenei, rappelle Hanieh Ziaei, spécialiste de l'Iran à l'Université du Québec à Montréal. N'empêche: le président Rohani a clairement rompu avec le régime de son prédécesseur, Mahmoud Ahmadinejad. «Et le fait même qu'il ait accepté de s'asseoir pour négocier est un geste de modération», selon Hanieh Ziaei.

L'Iran n'est pas un pays monolithique et sa classe politique est divisée. D'un côté, un président réformateur qui veut mettre un terme aux sanctions et ouvrir son pays aux investissements étrangers. De l'autre, un courant plus conservateur, méfiant devant l'Occident. Et qui peut maintenant s'appuyer sur le discours de Nétanyahou pour discréditer les négociations nucléaires. Et saper les efforts de négociation.

«C'est un discours complètement contreproductif», résume Hanieh Ziaei.

Les négociations nucléaires entrent dans leur dernier round. L'accord doit être conclu d'ici le 31 mars. C'est ce moment que Benyamin Nétanyahou choisit pour essayer de les torpiller, en faisant un procès d'intention à un président qui n'est pas idéal, mais qui représente néanmoins la voix de la modération. Cette stratégie n'est pas sans rappeler l'attitude de la droite israélienne dans ses relations avec les Palestiniens...

Il y a donc un projet d'accord sur la table. Il n'est pas parfait. Il n'est pas complet non plus. Et ses détails ne sont pas tous connus. Mais il est maintenant possible. Ce qu'on en sait, c'est qu'en échange d'une levée des sanctions, l'Iran accepterait de réduire de façon significative ses capacités d'enrichissement de l'uranium pour la prochaine décennie.

Les Iraniens ne sont peut-être pas complètement de bonne foi. Mais ils ont de bonnes raisons, surtout économiques, de vouloir normaliser leurs relations avec l'Occident.

Les dirigeants iraniens ne sont pas des fous furieux, mais des politiciens qui ont des objectifs rationnels à atteindre, face à leur population, mais aussi face aux factions diverses présentes à l'intérieur même de leur pays.

En présentant l'Iran comme l'incarnation du mal, en le mettant sur un pied d'égalité avec les barbares sanguinaires du mouvement État islamique, Benyamin Nétanyahou diabolise ce pays, sans offrir la moindre solution de rechange.

Et c'est là la principale faiblesse de sa prestation théâtrale de cette semaine. Car à la fin, quelle est l'alternative? Entre un accord imparfait et pas d'accord du tout, Nétanyahou a-t-il une proposition sur la table? Rien, nada. Côté solutions, son discours frôlait le vide sidéral. Du grand, grand Nétanyahou.