Interrogé sur l'éventualité d'une intervention militaire en Crimée, quelques jours avant Noël, Vladimir Poutine avait juré qu'il s'agissait d'un scénario inconcevable, rien de moins que d'une ineptie.

On connaît la suite: dès que le rideau est tombé sur les Jeux de Sotchi, Moscou a entrepris une opération militaire réglée au quart de tour qui lui a permis de prendre le contrôle de cette péninsule stratégique de l'Ukraine.

Aux dernières nouvelles, les bases militaires ukrainiennes étaient encerclées par les forces spéciales russes, qui avaient aussi pris les commandes des principaux aéroports de la Crimée. Ne manquait plus qu'une étincelle pour que cette offensive, conduite jusque-là sans effusion de sang, ne soit menée à terme par les armes.

Quelle que soit la suite des événements, il s'agit là d'une agression et d'une violation de souveraineté comme l'Europe n'en a pas connu depuis des lustres. Depuis, en fait, que les troupes du Pacte de Varsovie ont écrasé le Printemps de Prague, en 1968.

Moscou a défendu cette invasion avec une propagande mensongère éhontée.

À ses yeux, les opposants qui ont renversé le régime pro-russe de Viktor Ianoukovitch sont de dangereux fascistes, qui se baladent à Kiev armes automatiques à la main et menacent les minorités russes en Ukraine.

Ces arguments ne tiennent pas debout. Oui, c'est vrai, les opposants ukrainiens comptent dans leurs rangs des ultranationalistes de droite. Mais ils ne sont pas plus infréquentables que la droite nationaliste qui s'est frayé un chemin vers bien des Parlements européens sans que personne ait l'idée de régler le problème par une intervention armée!

Oui, c'est vrai que dans la frénésie du changement de régime à Kiev, la nouvelle majorité parlementaire a abrogé une loi qui protégeait la langue russe. Ce n'était pas très brillant, compte tenu du contexte explosif, mais on est loin d'un motif pouvant légitimer une guerre!

Le comble de la mauvaise foi a été atteint par l'ambassadeur de Russie à l'ONU, Vitali Tchourkine, qui, devant le Conseil de sécurité, a prétendu que des hommes masqués venus de Kiev avaient envahi le ministère de l'Intérieur à Simferopol, la capitale de la Crimée, alors que tout porte à croire que ces hommes appartiennent en fait aux forces spéciales russes qui avaient pour mission de reconquérir la Crimée...

Au cas où l'écho de cette propagande finirait par semer le doute dans l'opinion publique occidentale, je tiens à rappeler que l'immense majorité des protestataires ukrainiens étaient pacifiques et non armés, exception faite de quelques milliers de gardes improvisés munis de battes de baseball.

Voilà. C'est dit.

Tout ça pour quoi? Personne ne connaît les véritables intentions de la Russie. Il semble clair qu'elle veut ramener la Crimée sous son giron. Mais veut-elle aller plus loin? Annexer l'est du pays? Établir sa tutelle sur toute l'Ukraine? La résolution votée samedi par le Sénat russe ouvre la porte dans cette direction.

Selon un diplomate français cité par Le Monde, Vladimir Poutine a orchestré cette démonstration de force pour obtenir trois choses: des garanties pour les minorités russes en Ukraine, des assurances sur la pérennité du traité qui lui permet de garder sa flotte en Crimée et la promesse que l'Ukraine n'adhérera pas à l'Union européenne.

Vrai? Pas vrai? Quoi qu'il en soit, le procédé reste odieux. Et sape l'indépendance d'un pays souverain par la force.

Alors, on fait quoi?

La réaction la plus musclée à l'agression russe ne viendra pas du Conseil de sécurité de l'ONU, au sein duquel la Russie dispose d'un droit de veto.

Il n'est pas non plus question de mobiliser l'OTAN pour voler au secours de l'Ukraine, qui ne fait pas partie de cette alliance et n'a donc pas droit à une assistance automatique.

C'est vrai que l'OTAN est aussi intervenue en Libye, en 2011, mais c'était à la demande du Conseil de sécurité de l'ONU. L'alliance a également mené une intervention non autorisée au Kosovo, au tournant du millénaire.

Techniquement, c'est possible. Mais il faut de la volonté politique. Or, aucun pays ne voudra affronter la Russie, une puissance nucléaire, dans un conflit qui risquerait alors d'entraîner la planète entière, signale Houchang Hassan-Yari, du Collègue militaire royal du Canada à Kingston.

Les sanctions économiques, elles, risquent de faire boomerang. Si elles atteignent le secteur énergétique russe, c'est l'Ukraine et toute l'Europe qui seront les premières à passer à la caisse!

Reste l'option de la médiation par l'entremise de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, souligne Clara Egger, chercheuse à la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM.

Et parallèlement, il y a la voie de la réprobation internationale unanime et sans appel. Ce week-end, Sotchi doit accueillir les Jeux paralympiques. Plusieurs pays, dont le Canada, ont décidé de ne pas y envoyer de délégation politique. Le message aurait été autrement plus fort si on avait carrément décidé de boycotter ces Jeux - et privé Vladimir Poutine d'une autre occasion de bomber le torse.

La prochaine réunion du G8 à Sotchi est également suspendue. Le déménagement de la rencontre vers un pays un peu plus fréquentable pèserait symboliquement plus lourd. La Russie pourrait aussi être expulsée de ce groupe. Ce serait la moindre des choses, après cet acte d'agression d'un cynisme révoltant.