Personne ne s'attendait à ce que Stephen Harper tire les oreilles du gouvernement israélien lors de son discours aux 120 députés de la Knesset, lundi. Après tout, il allait là pour montrer que le Canada est le «plus meilleur» ami d'Israël.

Mais le premier ministre a présenté une vision tellement binaire du conflit israélo-palestinien qu'il a battu tous les records de complaisance.

Ce qu'il a dit, en gros, c'est qu'Israël est un phare de civilisation au milieu des ténèbres arabes. Que ceux qui s'aventurent à critiquer ce pays sont atteints d'une nouvelle forme d'antisémitisme surtout s'ils comparent ses politiques à celles de l'apartheid. Que la paix entre les deux peuples viendra simplement le jour où les méchants terroristes arabes comprendront qu'ils doivent être gentils. Et qu'Israël attend patiemment que ce jour arrive pour accepter la création d'un État palestinien à ses côtés.

Je caricature à peine. Mais la réalité de ce pays fascinant est autrement plus complexe que cette vision en noir et blanc qui ressemble aux appels de George W. Bush à un combat contre les forces du mal.

Ce qui est le plus gênant, dans ce discours, c'est cette équation associant toute critique du gouvernement israélien à une critique d'Israël, et donc à une remise en question de la légitimité d'un État juif, confinant à l'antisémitisme.

Pourtant, les réactions au discours de Stephen Harper en Israël même montrent qu'on peut être férocement opposé aux politiques de la coalition nationaliste actuellement au pouvoir, sans faire preuve d'antisémitisme. Et même en étant juif...

Un des articles les plus virulents a paru dans Haaretz, le grand quotidien de centre gauche. Son auteur, Barak Ravid, reproche à M. Harper d'avoir complètement occulté la question des implantations juives en Cisjordanie, et d'avoir ainsi conforté les dirigeants du pays dans leur bonne conscience sur cette question ultra sensible.

[Dès le lendemain de la prestation de Stephen Harper, le gouvernement israélien a d'ailleurs annoncé la construction de 380 nouveaux logements à Jérusalem-Est, le quartier arabe, annexé illégalement par Israël, où les Palestiniens veulent établir la capitale de leur improbable futur pays.]

Ce discours donne l'impression que Stephen Harper est l'ami du premier ministre Nétanyahou, et non l'ami d'Israël, poursuit Haaretz. Avant de comparer le dirigeant canadien à un passager voyageant dans une cabine de première classe du Titanic, à la veille de sa collision avec un iceberg...

Barak Ravid n'est pas le seul. D'autres voix israéliennes font pression sur leur gouvernement pour qu'il cesse son expansion territoriale. Une centaine de personnalités issues du monde des affaires, Israéliens et Palestiniens réunis, viennent d'ailleurs d'arriver au Forum mondial de Davos. Ils font partie du mouvement «Briser l'impasse», qui demande à Israël de mettre un terme à l'occupation de la Cisjordanie. Et qui demande aussi aux dirigeants palestiniens de reconnaître clairement l'État hébreu.

Je vous rappelle qu'il s'agit là de la crème économique des deux sociétés, et non de quelques «peaceniks» égarés dans les nuages. Il y aurait donc des pacifistes du côté palestinien du mur? Peut-on en informer M. Harper?

Autre exemple: dans un documentaire récent, d'anciens dirigeants du Shin Beth, le service de renseignement israélien, dénoncent le poison de l'occupation. On ne va quand même pas les accuser d'antisémitisme! Idem pour les anciens soldats de l'armée israélienne de «Briser le silence», mouvement qui dénonce les dérapages de Tsahal.

En ignorant la question de l'occupation, et en attribuant aux seuls Palestiniens la responsabilité de l'impasse actuelle, Stephen Harper a choisi de pointer son doigt accusateur dans une seule direction, tout en s'autofélicitant pour son impartialité... Mais pourquoi?

C'est la question que pose The Economist, magazine que l'on ne peut pas accuser de gauchisme attardé, et qui se demande ce qui a bien pu pousser Stephen Harper à rompre ainsi avec les positions autrement plus nuancées de ses prédécesseurs. Ce ne sont certainement pas des considérations électoralistes, puisque le Canada compte 1 million de musulmans contre un peu plus de 300 000 juifs, note le magazine. Pas des considérations commerciales non plus, puisque les échanges économiques entre les deux pays ne pèsent pas très lourd dans la balance.

«Stephen Harper croit vraiment ce qu'il dit», s'étonne The Economist, tout en supposant que ses attaches religieuses y sont peut-être pour quelque chose.

La déclaration d'allégeance inconditionnelle à Israël, y compris à ses plus farouches colons, répond à une croyance profonde, sans calculs politiques?

C'est possible. Et c'est bien ça le pire.