Deux retraités s'apprêtent à mettre fin à leurs jours. Vieux et malades, ils n'ont plus assez d'argent pour payer leurs médicaments. Et ils sont las de se sentir un fardeau pour la société...

C'est sur cette scène de double tentative de suicide que s'ouvre le plus récent roman de Petros Markaris, polar campé à Athènes où un tueur en série assassine les riches coupables d'évasion fiscale.

Je n'ai pas lu ce livre, qui n'a pas encore été traduit du grec. Mais les recensions parues dans la presse internationale suffisent pour comprendre qu'il s'agit d'une saisissante allégorie du tumulte qui agite aujourd'hui la patrie de Socrate, ce philosophe mort après avoir ingurgité de la ciguë. Tout comme les victimes du «collecteur de taxes nationales», justicier radical imaginé par Petros Markaris...

Son roman, intitulé I Pairaiosi (Le règlement), vise tellement juste que l'éditeur a cru bon d'ajouter un avertissement sur la couverture: «Ce livre est une fiction, à ne pas imiter...»

Il s'agit du deuxième volet d'une trilogie dont le premier tome se passe dans l'univers des banquiers et autres prêteurs rapaces, frappé, lui aussi, par une série de meurtres.

Avec des sujets comme ça, pas étonnant que l'écrivain de 75 ans soit devenu l'un des commentateurs les plus prisés pour analyser l'actuelle tragédie grecque. Je l'ai joint jeudi, à Athènes, pour parler des élections législatives ratées du 6 mai. Et de la reprise, prévue pour le 17 juin.

Petit rappel: le mois dernier, les électeurs grecs ont rejeté les partis traditionnels, donnant plus de votes que jamais à l'extrême gauche et à l'extrême droite. Les nouveaux élus ont été incapables de former un gouvernement. D'où la nécessité d'un nouveau scrutin.

Comment expliquer cet étrange 6 mai? «Les Grecs sont désillusionnés, désespérés et furieux. Ce sont de mauvaises conditions pour garder l'esprit clair», dit le romancier. Dans la grande confusion, les électeurs penchent vers les extrêmes. Surtout les jeunes.

Petros Markaris ne voit pas l'avenir de son pays en rose. «La Grèce a traversé de nombreuses crises au cours de son histoire. Chaque fois, il y avait une perspective d'avenir. Pas cette fois. Le principal problème de cette crise, c'est qu'elle n'offre aucune perspective.»

Avec ou sans euro, les Grecs sont condamnés à la pauvreté, dit encore Markaris. Et c'est cet horizon de misère qui plonge les plus jeunes dans la panique: «Ils ne savent pas composer avec la pauvreté, ils ne l'ont jamais connue.»

Même s'il juge, rétrospectivement, que la Grèce a souffert du virage vers l'euro, pour lequel elle n'était pas prête, l'éventualité d'un retour à la drachme lui paraît plus effrayante que le statu quo. «Nous avons le choix entre une solution mauvaise, et une qui serait encore pire.»

Collectivement, une expulsion de la zone euro serait ressentie comme une gifle, «qui traumatiserait le pays pour les trois prochaines générations». Les conséquences politiques et économiques seraient terribles, elles aussi.

En attendant, les Grecs sont surtout traumatisés par les mesures d'austérité qui ont ravagé la classe moyenne. «Quand on marche dans les rues d'Athènes, on voit qu'un magasin sur deux est fermé. Les gens n'arrivent plus à survivre.»

Le régime minceur imposé aux Grecs n'est pas le seul responsable de cette plongée vers la misère, reconnaît le romancier. «Les Grecs ont trop longtemps vécu au-dessus de leurs moyens.» Mais l'austérité a carrément étranglé le pays. «Tout le monde, en Grèce, veut des assouplissements.»

Avec la crise qui fait contagion en Europe, avec l'arrivée, à la tête de la France, d'un président qui veut desserrer le corset d'austérité, les Grecs ont intérêt à rester à la table où se prennent les décisions qui auront un impact sur leur avenir, souligne Markaris.

Et pour ça, ils doivent garder l'euro. Et surtout, ils doivent se doter d'un gouvernement!

C'est là, selon lui, le principal enjeu du vote du 17 juin: parvenir à former un gouvernement. «Nous n'avons pas les moyens de retourner une troisième fois!»

Qu'attend-il du vote du 17 juin? «C'est impossible à prévoir. Le 6 mai, 35% des électeurs se sont abstenus, et 18% ont voté pour des partis marginaux qui ne sont même pas représentés au Parlement. Comment vont-ils voter maintenant? Même les sondeurs l'ignorent.»

Ce qui est clair, pour Petros Markaris, c'est que le 17 juin sera un jour d'une importance capitale, où les Grecs joueront leur avenir.

L'écrivain a déjà en tête le troisième volet de sa trilogie. Eh oui, il y aura encore un tueur en série. Qui seront ses victimes? «Je ne sais pas encore. J'attends de voir les résultats des élections...»