Le triple prix Nobel de la paix accordé hier à trois femmes, une Yéménite et deux Libériennes, peut être interprété de multiples façons.

On peut y voir une tentative de souligner le phénomène le plus marquant de l'année 2011 - ce qu'on a appelé le «printemps arabe» - en évitant de trop se compromettre. Après tout, les révolutions déclenchées en cascade depuis décembre demeurent, au mieux, inachevées. On ne sait pas encore quels chats sortiront de ce sac.

Le comité d'Oslo a joué de prudence en récompensant une seule femme liée à cette vague révolutionnaire, Tawakkul Karman, figure emblématique du soulèvement populaire au Yémen. Et en lui associant la présidente et une militante du Liberia.

Mais ce cru 2011 peut aussi être vu comme une tentative de rattrapage pour un prix qui, en 30 ans, a récompensé 28 hommes, contre devinez combien de femmes? À peine six. En nommant trois femmes d'un coup, on vient corriger un peu ce déséquilibre.

Il n'y a pas de démocratie sans égalité des droits, a dit le président du comité, Thorbjoern Jagland, en attribuant le triple prix. Voilà une autre allusion à ceux qui voudraient détourner les révolutions arabes aux dépens des femmes. Mais en même temps, le comité a choisi de récompenser une femme qui milite dans un mouvement affilié aux Frères musulmans, cette organisation islamiste perçue comme menaçante par l'Occident. Militante pour les droits des femmes et musulmane pratiquante? Oui, c'est possible, dit le comité d'Oslo. Le message est clair.

Mais la triple récompense d'hier, c'est aussi, et surtout, un hommage au courage de toutes les femmes qui se battent pour défendre leurs droits, souvent à leurs risques et périls. Un prix que je dédie, par extension, à des dizaines d'autres de ces combattantes, qui oeuvrent parfois dans l'ombre, parfois ouvertement, parfois pour elles-mêmes, parfois pour des principes. Mais presque toujours dans des conditions qui, de notre point de vue d'Occidentales, sont intolérables.

Je pense à la jeune femme de Gaza, Heba Salem, dont j'ai parlé dans un récent reportage, qui se bat pour pouvoir voyager - mais qui est prisonnière du Hamas, qui contrôle ce territoire palestinien.

Je pense aussi à Fawzia Koofi, politicienne afghane qui rêve d'être candidate à la présidence de son pays. Menacée par les talibans, elle vit dans la peur constante de la mort. Elle explique son combat dans une lettre qu'elle écrit à ses deux filles, potentiellement orphelines...

Je pense aussi à Hoda Badran, féministe rencontrée plusieurs fois au Caire, qui se bat bec et ongles pour que les femmes égyptiennes ne deviennent pas les laissées pour compte de leur révolution. À la militante Wajeha Al-Huwaider qui défie l'absurde interdit de conduire imposé par le régime saoudien. À Salwa Bougaighis, qui était l'unique femme au Conseil national de transition libyen quand je l'ai rencontrée au printemps dernier, à Benghazi.

J'aimerais aussi faire partager ce prix avec les Maliennes qui se sont battues pour un Code de la famille moins inéquitable pour les femmes. Et qui ont perdu cette bataille. Avec les 17 jeunes femmes arrêtées sur la place Tahrir un mois APRÈS la chute d'Hosni Moubarak, et soumises à l'abject test de virginité. Avec les Congolaises qui se battent contre l'horreur du viol érigé en système.

Et puis, plus près de chez nous, un petit peu de ce prix pourrait aussi aller à ces Italiennes qui manifestent contre le pantin vulgaire qui leur sert de premier ministre. Et dont chaque sortie, y compris sa toute récente tentative de rebaptiser son parti pour l'appeler «Forza gnocca» (en québécois: Awaye, pitoune), nous rappelle qu'en matière d'égalité, il ne faut jamais rien tenir pour acquis.

Il y a tellement d'autres femmes qui auraient mérité de recevoir ce prix. L'année prochaine peut-être? Espérons que le comité d'Oslo n'estime pas qu'il a réglé la question une fois pour toutes.

Pour joindre notre chroniqueuse: agruda@lapresse.ca