Les pluies d'automne s'abattront bientôt sur les pays affamés de la Corne de l'Afrique. Bonne nouvelle? Absolument pas. Car les brèves averses d'automne ne suffiront pas à contrer les effets de la sécheresse. En revanche, quand les eaux gonflées des hauts plateaux éthiopiens se déverseront sur la Somalie, elles y charrieront leur lot de maladies: choléra, rougeole, malaria.

En temps normal, ces maladies sont relativement faciles à soigner. Mais pour les 750 000 Somaliens les plus vulnérables, affaiblis par des mois de famine, une infection au choléra, ça équivaut à un arrêt de mort.

«Nous avons perdu la première manche contre la famine, et nous sommes sur le point de perdre la deuxième.» L'homme qui dresse ce constat pessimiste s'appelle Ken Menkhaus. Ce spécialiste de la Somalie, qui enseigne au collège Davidson, en Caroline-du-Nord, était un jeune diplômé quand la dernière grande famine a dévasté l'Afrique de l'Est, il y a 20 ans.

Rien ne l'avait alors préparé à participer à une mission d'urgence dans un pays où les gens mouraient par dizaines de milliers. Rien, sauf sa connaissance de ce pays.

À l'époque, les organisations d'aide alimentaires étaient mal outillées pour intervenir dans des pays où famine et conflit armé faisaient rage simultanément. «C'était une réalité relativement nouvelle», rappelle Ken Menkhaus, que j'ai joint au téléphone cette semaine.

Depuis 1991, les humanitaires ont raffiné leurs méthodes. «Aujourd'hui, il y a 100 manières pour prévenir la famine», dit le chercheur. Il est le premier à reconnaître que tous ces moyens viennent pourtant d'échouer lamentablement...

«Il y aura des victimes à nous crever le coeur, et il n'y presque rien à faire pour empêcher ça», dit-il, fataliste.

Deux questions de posent devant ce diagnostic désespérant. Comment en est-on arrivé là? Et comment faire pour minimiser les dégâts de la «deuxième vague?»

Tous les experts s'entendent pour dire que la crise était largement prévisible. Et qu'elle était en partie évitable. Les signes annonciateurs d'une grande sécheresse se multipliaient dès le début du printemps. Mais le premier appel à l'aide internationale n'a été lancé qu'en juillet -beaucoup, beaucoup trop tard.

La crise a atteint un niveau critique en Somalie à cause du conflit qui déchire ce pays, contrôlé en partie par des islamistes alliés à Al-Qaïda, et en partie par des milices plus ou moins affiliées à un gouvernement de transition -qui, en vérité, ne dirige pas grand-chose.

Les islamistes du mouvement Al Shabaab empêchent la livraison de l'aide alimentaire, en partie pour la détourner à son profit, mais également pour des raisons idéologiques: ils se méfient de toute influence occidentale.

Aux yeux de Ken Menkhaus, ces milices, ce sont un peu les Khmers rouges de l'Afrique: «Des groupes armés avec une idéologie tordue qui n'hésitent pas à mener leur peuple à la mort.» Ils sont les premiers responsables de la gravité de la crise. Mais ils ne sont pas les seuls.

Les organisations internationales ne peuvent s'en prendre qu'à elles-mêmes pour leur impréparation à une famine annoncée. Au lieu de mettre sur pied des plans antisécheresse, elles se sont livrées à un «spectacle pathétique» de collecte de fonds totalement improvisé, dénonce Olivier de Schutter, rapporteur sur la sécurité alimentaire pour l'ONU. Ce dernier se bat depuis un bon moment pour la mise sur pied de réserves alimentaires dans les régions exposées à la famine. Question d'être prêt quand la crise survient. Jusqu'à maintenant, il a prêché dans le désert.

De telles réserves auraient un autre avantage: elles freineraient les flambées de prix alimentaires qui accompagnent inévitablement les famines. On imagine à tort que les gens meurent de faim quand il n'y a plus rien à manger. Souvent, la nourriture est accessible, mais elle coûte trop cher.

En Somalie, les prix du sorgho et du mil ont augmenté de 300% en quelques mois! Ces denrées de base sont devenues inabordables pour des familles qui n'ont cessé de s'appauvrir au fil des mois.

N'y a-t-il donc pas moyen d'empêcher les prix de s'envoler à chaque sécheresse? Selon Ken Menkhaus, il y a maintenant des discussions sur un mécanisme qui inciterait les producteurs alimentaires à ne pas suivre les lois du marché en cas de crise alimentaire aiguë. Une sorte d'assurance famine, en quelque sorte... Combien d'autres morts avant que ces idées ne se concrétisent?

Autre facteur aggravant en Somalie: la fameuse loi antiterroriste américaine, le Patriot Act, qui interdit aux ONG de frayer de quelque manière que ce soit avec les milices Al Shabaab. Récemment, la loi a été assouplie. Mais les agences humanitaires craignent toujours que si elles distribuent de l'aide alimentaire dans les régions contrôlées par les Shabaab, elles seront accusées de nourrir les terroristes...

Et enfin, il y a ce gouvernement de transition somalien, qui jouit d'une reconnaissance internationale, mais qui contribue à la crise: ses milices armées détournent, elles aussi, l'aide alimentaire. Ce gouvernement travaille actuellement sur un projet de constitution somalienne, en vue d'éventuelles élections. Pendant que des gens crèvent de faim...

Le gouvernement transitoire est établi à Mogadiscio, la capitale abandonnée par les Shebabs. «Il n'y a aucune, mais aucune raison pour que des gens meurent de faim à Mogadiscio», dit Ken Menkhaus.

Mais comment convaincre les groupes armés proches du gouvernement de transition de laisser les agences humanitaires faire leur boulot? «Il faut faire pression très, très fort. Leur faire comprendre qu'ils risquent d'être poursuivis devant la justice internationale pour crimes contre l'humanité», plaide le chercheur.

Et si on ne le fait pas? «L'histoire nous jugera avec sévérité.»