Quand le vent de colère a embrasé son pays, le président Hosni Moubarak a réagi en agitant successivement la carotte et le bâton. Avant lui, le président Zine el-Abidine Ben Ali, en Tunisie, avait lui aussi tenté de sauver la mise en alternant répression et concessions.

Dans les deux cas, la méthode a échoué, et les deux dictateurs ont été forcés de plier bagage. Devant ce dénouement, les autres hommes forts de la région ont le choix entre deux conclusions. Soit qu'il vaut mieux satisfaire aux revendications populaires avant que la révolte ne devienne irrépressible, comme semble vouloir le faire le roi Abdallah, en Jordanie. Soit qu'il faut verrouiller leur pays et écraser la révolte dans le sang.

De toute évidence, c'est la voie qu'a empruntée le colonel Mouammar Kadhafi. L'information qui filtrait difficilement, hier, de la Libye indiquait que le vieux dictateur ne reculerait devant rien pour sauver son régime. La répression a été particulièrement brutale hier, alors que des hélicoptères militaires auraient tiré sur les manifestants à Tripoli, selon plusieurs témoignages.

«Le régime libyen est en train de faire la guerre à son propre peuple», dit Sarah Leah Whitson, spécialiste de cette région du monde pour l'organisme Human Rights Watch. Elle a souvent voyagé en Libye. Elle y connaît des gens que son organisme a joints au cours des derniers jours pour suivre les événements. Hier, ils ne répondaient plus. Et Mme Whitson était morte d'inquiétude.

La Libye a fait du chemin depuis l'époque où Ronald Reagan avait qualifié le colonel Kadhafi de «chien enragé». Cédant devant les sanctions internationales, le dictateur a fini par admettre sa responsabilité dans l'attentat de Lockerbie. Il a abandonné son programme d'armes nucléaires. Avec les années, il s'est construit une image de mauvais garçon converti en quasi-philanthrope. Mais ça, c'était pour les yeux de la communauté internationale, qui l'a récompensé en le faisant accéder au Conseil des droits de l'homme de l'ONU.

À l'interne, Kadhafi n'avait presque rien perdu de sa férocité. «Une législation répressive, interdisant toute forme de pensée ou d'activité collective indépendante, est toujours en vigueur», écrit Amnistie internationale dans un rapport récent. Aux dernières nouvelles, la Libye ne compte pas une seule ONG indépendante du pouvoir! Selon l'organisme Freedom House, son indice de libertés civiques et politiques figure parmi les plus bas de la planète.

En d'autres mots, Kadhafi est devenu fréquentable pour le monde, mais pas pour ses propres citoyens. Et gare à ceux qui osent défier le régime, tels les 1200 détenus sauvagement tués dans une prison de Benghazi, en 1996. Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si le soulèvement populaire actuel a commencé précisément dans cette ville, qui ne s'est jamais relevée de ce massacre.

Mais le pouvoir a beau tirer sans ménagement sur des foules pacifiques, il a beau tenter d'étouffer son pays sous une chape de plomb, le régime craque de partout. Du représentant libyen à la Ligue arabe au ministre de la Justice, des alliés du régime quittent le navire. Le régime du fantasque colonel paraît condamné à plus ou moins brève échéance. Reste à savoir dans combien de temps. Et dans combien de morts.

Et le jour où Kadhafi tombera à son tour, les dictateurs des pays voisins devront revoir leurs leçons: cela signifiera que, devant un peuple assoiffé de liberté, la répression absolue ne fonctionne pas, elle non plus...