Le Canada pourrait mettre la clé sous la porte de plusieurs de ses ambassades en Afrique. Rien n'est encore certain. Mais la rumeur est persistante. Et même si le ministère des Affaires étrangères affirme n'avoir pris aucune décision à ce sujet, l'inquiétude soulevée par cette éventualité est, elle, on ne peut plus réelle.

«En Afrique, la chose la plus importante, c'est d'avoir des représentants gouvernementaux sur place. L'économie africaine est très étatique. Si tu n'as pas de gens pour t'aider avec les permis, les autorisations, tu es très handicapé.»

L'auteur de ce constat s'appelle Lucien Bradet. Il est président du Conseil canadien pour l'Afrique - un regroupement d'entreprises canadiennes qui font des affaires sur le continent africain.

Lucien Bradet est inquiet. Déjà, le Canada ne bat pas de records de présence en Afrique. Le pays n'y a que 21 ambassades, alors que le Brésil en a 26, le Japon 24 et les États-Unis, 45. Selon un scénario qui circule en ce moment, la survie de quatre de ces ambassades, notamment au Cameroun et en Zambie, serait menacée.

«Pour les gens qui font des affaires en Afrique, c'est très important d'avoir l'appui du gouvernement canadien sur place», fait valoir un représentant d'une firme canadienne très présente en Afrique. Il a, lui aussi, entendu parler de l'épée de Damoclès suspendue au-dessus d'une poignée d'ambassades du Canada en Afrique. «Ça m'attriste, ça n'a aucun sens», s'indigne-t-il.

Bien sûr, quand le Canada ferme une ambassade, la responsabilité du pays «orphelin» est confiée à un autre pays du continent. Seulement, en Afrique, le réseau de transports est pourri. Parfois, le seul moyen pour voyager d'un pays à un autre, c'est de faire escale... en Europe. Dans les faits, l'accès à des représentants canadiens dans des pays dépourvus d'ambassade devient très difficile.

Déjà l'an dernier, Ottawa a redessiné la carte de l'aide humanitaire canadienne et réduit à huit le nombre de pays africains considérés comme prioritaires. La décision a fait de grosses vagues dans les pays concernés.

Une vingtaine d'ambassadeurs africains à Ottawa ont fait des démarches auprès du gouvernement Harper, au printemps dernier, l'invitant à s'engager dans un «partenariat renouvelé» avec l'Afrique.

«Quand les choses s'émoussent, il faut y remettre du tonus», explique diplomatiquement l'ambassadeur du Togo, Bawoumondom Amélété, qui a été un peu l'âme dirigeante de cette initiative.

Que demandaient ces diplomates pour «tonifier» les relations entre le Canada et l'Afrique? Que l'on ajoute de nouvelles ambassades canadiennes en Afrique...

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La présence canadienne en Afrique ne répond pas seulement à des préoccupations humanitaires. Loin de là. L'économie africaine est en plein boom, rappelle Lucien Bradet. «Cette année, elle a crû à un rythme de 5,5%, plus que tous les pays développés», rappelle-t-il.

Tout n'est pas négatif sur ce vaste continent. Il y a des routes à construire, des infrastructures à bâtir, et quelques pays - l'Angola, le Mozambique, le Botswana, le Rwanda - vont dans la bonne direction sur la route du développement. Le Canada a tout intérêt à en profiter.

La Chine l'a bien compris: en une décennie, ses investissements en Afrique sont passés de 10 à 100 milliards de dollars. Si le Canada bat en retraite, il ne manquera pas de candidats pour tirer profit du terrain abandonné!

À la Chambre des communes, il y a deux semaines, le député libéral Mauril Bélanger a demandé au ministre Lawrence Cannon s'il pouvait assurer qu'il ne fermerait pas d'ambassades en Afrique.

«Nous ouvrons de nouveaux bureaux et nous en fermons d'autres, a répondu le ministre, dans une de ces réponses sibyllines dont les conservateurs ont le secret. Comme gouvernement responsable, on est constamment aux aguets et on défend les intérêts des Canadiens de même que ceux de nos entreprises et de notre diplomatie à l'étranger.»

Aux aguets ou en retrait, monsieur le ministre?