Sogol Husseini a eu la frousse de sa vie, samedi, quand des protestataires masqués ont voulu défoncer les vitrines de la pharmacie de la rue Queen où elle travaille comme vendeuse de cosmétiques.

«Au début, la manifestation était paisible, puis les gars en noir se sont mis à tout défoncer», a-t-elle raconté hier. Sa pharmacie a eu la chance de traverser intacte la vague de vandalisme. Mais la jeune femme a eu si peur que ça lui a pris tout son change pour se présenter au travail, hier matin.

 

Pourtant, elle n'en veut ni aux voyous qui ont semé la pagaille ni aux policiers qui n'ont pas empêché les dégâts. Toute sa colère vise Ottawa. Elle n'en revient pas que le gouvernement fédéral ait choisi d'organiser un événement à haut risque en plein coeur commercial de Toronto.

Elle n'est pas la seule à penser que cette rencontre au sommet aurait dû avoir lieu à l'écart des rues les plus fréquentées de la ville. Le maire de Toronto en avait fait la suggestion à Ottawa, proposant de réunir les grands de ce monde sur le vaste terrain d'exposition voisin du lac Ontario, loin des cafés et des magasins du centre-ville.

Peine perdue. «Ottawa ne nous a pas laissé le choix», accuse Adam Vaughan, conseiller municipal représentant le quartier le plus touché par la violence du week-end.

Adam Vaughan ne se gêne pas pour critiquer l'arrogance d'Ottawa, tandis que nous partageons un café dans un restaurant à l'intersection des rues Queen et Spadina, là même où une voiture de police a longuement flambé, samedi.

Dès le départ, la ville a su qu'elle recevrait le G20 à peine 15 minutes avant que Stephen Harper n'en fasse l'annonce officielle. Depuis, tout a été à l'avenant. Jusqu'à l'attribution quasi confidentielle de pouvoirs extraordinaires à la police - dont le maire a eu connaissance en lisant les journaux, jeudi!

Petit rappel: dans les semaines précédant le sommet, le gouvernement ontarien a «ravivé» une vieille loi destinée à protéger les infrastructures publiques, en intégrant les barrières de sécurité du G20 aux constructions couvertes par cette législation.

Annoncée discrètement sur un babillard électronique, cette extension législative a été mise au jour lorsqu'un avocat interpellé alors qu'il était en train de photographier la barrière de sécurité a tenu tête aux policiers, refusant de s'identifier. L'avocat en question, Robert Kittredge, est convaincu que cette loi est carrément inconstitutionnelle. Chose certaine, son adoption confidentielle a choqué beaucoup de gens.

Le plus sidérant dans les événements des derniers jours, c'est que malgré ces pouvoirs exceptionnels, malgré un budget de sécurité qui bat tous les records, la police n'a pas su empêcher la casse.

Tout aussi étonnant: après avoir imposé à Toronto un événement, son lieu et sa date, le gouvernement fédéral se lave aujourd'hui les mains de toute responsabilité dans les dérapages du week-end. Et se contente de renvoyer toute question à ce sujet à la police.

Bien sûr, il faut mettre tout ce cafouillage en perspective. Au sommet du G20 à Pittsburgh, il y a quatre ans, on a compté une soixantaine d'arrestations et une vingtaine de vitrines fracassées. L'an dernier, à Londres, un homme est mort dans une altercation avec la police.

Le sommet de Toronto n'est pas le premier à goûter à la médecine du «Black Bloc», ces groupuscules qui se spécialisent dans le sabotage des manifestations pacifiques. Une fois les délégations parties, la ville se remettra de ces événements que le chef de police, visiblement dépassé, a décrits comme les plus violents que la ville ait jamais connus.

Restera le souvenir d'un service de sécurité débordé qui, après plus de 600 arrestations, n'avait pas encore complètement repris les commandes de la ville, hier soir.

Restera aussi le souvenir d'images de destruction comme cette ville n'en avait jamais vues. Celui de l'odeur du gaz lacrymogène, qu'elle n'avait encore jamais sentie. Et d'un chaos tel qu'il a incité Amnistie Internationale à réclamer une enquête.

Restera, enfin, le souvenir d'une sorte de coup de force fédéral, imposant une décision unilatérale à la métropole du pays. Déclinant toute responsabilité dans la tournure malheureuse des événements. Et laissant Toronto seul avec sa gueule de bois.

Ces souvenirs risquent de s'imposer d'autant plus que les deux sommets, celui du G8 et celui du G20, ne feront pas l'histoire. Oui, Stephen Harper a réussi à faire adopter son projet de santé maternelle, mais la timidité de l'engagement global a causé une déception unanime.

Au G20, Stephen Harper a réussi à faire obstacle à une taxe bancaire généralisée et est parvenu à des engagements chiffrés de réduction de déficits et de stabilisation de la dette. Mais de l'avis d'un groupe d'experts qui ont suivi le sommet, il s'est imposé davantage par son jeu défensif que par sa force d'initiative. Reléguant les enjeux fondamentaux au prochain rendez-vous, à Séoul.

Devant la minceur des résultats, difficile de ne pas se dire: tout ça pour ça?