La scène se déroule il y a près de deux ans, dans un bon restaurant italien du Vieux-Montréal, où je suis attablé avec un ami qui m'invite pour le dîner.

Au moment de régler la note, mon copain tend sa carte de crédit, mais le serveur lui dit que ce n'est pas nécessaire puisqu'un client, assis tout au fond du resto, s'en est déjà chargé.

Notre surprise s'est rapidement transformée en stupéfaction lorsque le serveur nous a finalement révélé l'identité du client: Tony Accurso!

Rassurez-vous, nous avons poliment décliné cette généreuse offre, mais nous sommes tout de même allés serrer la pince de M. Accurso, tout sourire, qui m'a même chaleureusement félicité pour mon travail à La Presse. «J'aime beaucoup ce que tu fais», m'a-t-il dit en me serrant vigoureusement la main.

L'avocat de M. Accurso, celui-là même qui pilote les nombreuses poursuites contre mes collègues journalistes depuis quelques années, semblait toutefois un peu mal à l'aise devant cette scène inusitée.

J'ai profité de l'occasion pour dire à M. Accurso (que je rencontrais pour la première fois de ma vie) que s'il avait envie de jaser, il savait où me trouver. Malheureusement, il n'a jamais donné suite.

Cette anecdote m'est revenue en tête ces derniers jours en écoutant les révélations du confrère Alain Gravel sur les liens entre la FTQ et Tony Accurso. Je vous la raconte aujourd'hui parce que je trouve qu'elle dépeint une partie du personnage et ses méthodes. Les cadeaux, les marques d'attention et de reconnaissance, le coeur sur la main, quoi, cela semble être dans sa personnalité.

Pourquoi Tony Accurso, qui ne me connaît pas et duquel j'ai assez peu souvent parlé dans mes chroniques, voudrait-il me payer un repas? Pardonnez le cliché, mais poser la question, c'est y répondre.

Je présume, par ailleurs, que je ne suis pas le premier ni le dernier à avoir été l'objet d'une telle générosité. Combien (et qui) acceptent? Pour la petite histoire, c'est dans ce même restaurant que Benoît Labonté, colistier déchu de Louise Harel sur la scène municipale montréalaise, avait rencontré M. Accurso, une rencontre qui allait provoquer la chute de l'ancien aspirant à la mairie.

Il n'y a rien d'illégal à payer le repas de quelqu'un, mais si ce quelqu'un est candidat à une élection ou chroniqueur politique ou que sais-je encore, c'est douteux. Pas désintéressé, en tout cas. Le coeur sur la main, mais la tête à ses affaires.

Alors, imaginez un peu comment ça fonctionne dans un milieu de grande proximité, comme l'industrie de la construction, au sommet de la pyramide du pouvoir, entre les bonzes de la puissante FTQ et un géant de la construction. On devient vite amis, puis on soigne cette amitié à coup de cadeaux, jusqu'au moment où s'efface la mince ligne éthique entre saines relations d'affaires et conflit d'intérêts.

Et puis, il faut voir les cadeaux. Il n'est pas question ici d'une petite boîte de chocolats ou d'une bouteille de vin dans un joli emballage de la SAQ, mais de croisières privées sur le yacht d'un entrepreneur ou de virée dans des centres de cure en Europe, comme ce fut le cas pour l'ancien président de la FTQ construction, Jean Lavallée.

Alain Gravel a demandé à M. Lavallée s'il se retirait des discussions à la FTQ lorsqu'il était question de son «ami» Tony, il lui a répondu: «Ben non, pourquoi?» Et voilà la mince ligne disparue!

L'association entre Tony Accurso et la FTQ remonte des années en arrière, à l'époque de Louis Laberge et de la naissance du Fonds de solidarité FTQ. Quelqu'un qui a longtemps travaillé à la FTQ m'a déjà expliqué que M. Accurso était un «géant» à la FTQ, un grand bâtisseur, et un «frère» pour Louis Laberge. Il est visiblement resté très proche des successeurs de M. Laberge. Lors de la soirée gala du 25e anniversaire du Fonds, en 2008, M. Accurso était assis à la table d'honneur, avec les grosses huiles de la FTQ et le ministre Raymond Bachand.

On pourrait penser qu'il est normal, après tant d'années, que des liens d'amitié se soient forgés et que, dans ce milieu, on fraternise et on se gâte. Peut-être, mais il n'est pas question ici d'une boîte de chocolats à Noël ou d'une bouteille de vin à l'occasion, mais plutôt de somptueux cadeaux de chez Birks, de cure amaigrissante luxueuse ou de tour en bateau.

Ces pratiques dérangent, en outre, parce que le Fonds n'est pas un investisseur comme les autres. Grâce, en grande partie, aux crédits d'impôt offerts aux particuliers, le Fonds est devenu une force économique incontournable au Québec, une force redoublée par l'omniprésence de son bras syndical sur les chantiers. Cette institution unique a contribué au fil des années à créer des géants de la construction, dont Tony Accurso, qui sont devenus à leur tour incontournables. La roue tourne et on se renvoie joyeusement l'ascenseur.

En écoutant les derniers reportages du collègue Gravel, je me suis mis à espérer le témoignage de M. Accurso devant la commission Charbonneau. Peut-être d'ailleurs a-t-il envie de témoigner, question de vider son sac, de donner sa version.

En attendant, je réitère mon offre: je suis disponible pour une entrevue. Ma collègue Michèle Ouimet a interviewé Jacques Duchesneau dans son auto entre Québec et Montréal, moi, je suis prêt aller sur le bateau s'il le faut pour M. Accurso! (C'est La Presse qui paye mon séjour, évidemment.)

- Pour joindre notre chroniqueur: vincent.marissal@lapresse.ca