Vous partez en vacances avec la conscience tranquille et le sentiment du devoir accompli, vous revenez cinq semaines plus tard frais et dispos. Puis, à peine rentré au boulot, vous avez soudain la désagréable impression d'être revenu exactement à votre point de départ: pis, y aura-t-il des élections?

Toujours la même question, et toujours la même réponse: je ne sais pas. La seule chose dont on peut être certain, c'est qu'il faudrait qu'il y ait des élections.

Après plus de 30 mois de gouvernement conservateur, ce Parlement tourne en rond. Le gouvernement n'a plus de mandat, les bloquistes et les néo-démocrates sont dans les blocs de départ depuis des mois et les libéraux, qui répètent tous les jours que les conservateurs sont pourris, leur permettent néanmoins de survivre contre toute logique vote après vote.

Nous avons atteint un sommet de ridicule, jeudi, quand Stephen Harper a laissé entendre qu'il fera peut-être lui-même ce que Stéphane Dion est incapable de faire: débrancher son gouvernement du respirateur et déclencher des élections.

Il est loin d'être certain que les libéraux soient davantage prêts à se lancer cet automne qu'ils ne l'étaient le printemps dernier, mais à supposer qu'ils plongent, à quel genre de campagne devrions-nous nous attendre?

Nous risquons d'avoir une campagne atypique: le gouvernement attaquant sans cesse la faiblesse du chef de l'opposition plutôt que de vanter son bilan, et le chef de l'opposition s'exposant aux attaques du gouvernement avec son plan vert plutôt que d'attaquer le bilan du gouvernement.

Certains libéraux, comme Denis Coderre, veulent charger à fond contre les conservateurs, mais ce n'est pas le style de leur chef. Pourtant, les conservateurs sont vulnérables, comme le démontre la forte réaction ces jours-ci face aux coupes dans le domaine de la culture.

Comme ce fut le cas lors de l'abolition des programmes d'aide aux femmes ou de contestation judiciaire, il y a deux ans, on comprend mal pourquoi le gouvernement s'expose à ce point à la critique pour si peu de bénéfices. M. Harper s'achète bien des problèmes pour de si maigres économies. L'opposition dénonce les décisions idéologiques des conservateurs et elle n'a probablement pas tort.

Il n'y a pas que la culture. Le gouvernement Harper traîne d'autres boulets, dont le plus lourd est sans doute Omar Khadr, ce jeune Canadien qui croupit depuis des années à Guantánamo et dont l'histoire a fait le tour du monde.

Il y a aussi la descente de police dans les locaux du Parti conservateur et l'enquête d'Élections Canada sur de possibles fraudes électorales.

Il y a l'affaire Bernier, qui a embarrassé le Canada sur la scène internationale même si le gouvernement a tenté de pousser son rapport d'enquête sous le tapis par un beau vendredi après-midi d'été.

Et puis, il y a les faiblesses de la politique environnementale de ce gouvernement, soupçonné d'être trop favorable à l'industrie pétrolière.

Pour une opposition qui aurait des dents, Stephen Harper est facile à attaquer. Imaginons une seconde que Stéphane Dion soit méchant et qu'il décide de mordre les mollets des conservateurs.

Imaginez une pub de 30 secondes qui reprendrait en boucle les images du jeune Khadr désespéré à Guantánamo, suivies de la réponse froide et distante de Stephen Harper...

Ou une pub montrant la descente de la GRC au quartier général du PC, suivie des scènes de la comparution chaotique des responsables conservateurs devant le comité des Communes.

Pas besoin d'être Scorsese pour imaginer des pubs dévastatrices sur l'environnement, sur l'affaire Bernier ou, si Stephen Harper met sa menace de déclenchement à exécution, sur ses promesses d'élections à date fixe.

Ou une autre montrant un film se désintégrer à l'écran sous l'effet des coupes budgétaires de la ministre Josée Verner. Ce ne sont pas les sujets qui manquent.

Mais bon, il faudrait pour ça que Stéphane Dion soit méchant, et il ne l'est pas. Stéphane Dion pense que les Canadiens finiront par comprendre que les conservateurs sont mauvais et que les libéraux sont bons. Stéphane Dion pense que les Canadiens se rallieront à son plan vert malgré la contre-attaque musclée des conservateurs.

Stéphane Dion n'aime pas les campagnes négatives. En théorie, voilà qui l'honore. Mais en pratique, cela condamne son parti - et lui-même - à se faire rentrer dedans par les conservateurs, qui eux, sont adeptes du genre.

Résultat: Stephen Harper a réussi au cours des derniers mois à imposer dans la population canadienne l'image d'un Stéphane Dion mou, indécis et inapte à diriger le pays.

Les menaces de M. Harper de déclencher lui-même des élections (par l'intermédiaire de la gouverneure générale, évidemment) s'inscrivent dans la même logique: mettre de la pression sur Stéphane Dion pour le faire paraître encore plus faible. À en juger par la cote des chefs dans les sondages, la stratégie négative des conservateurs fonctionne.

Méchant ou non, le chef libéral va bien devoir finir par réaliser qu'il ne pourra pas gagner ce combat sans se battre.