C'était dimanche soir, avant minuit. Un grand Black qui m'a dit qu'il s'appelait Paul (mais qui ne s'appelle pas Paul) enguirlandait les flics casqués, au coin des rues Arthur-Chevrier et Rolland.

Il se dressait entre les citoyens et les policiers.

Aux citoyens, il disait: «C'est votre quartier! N'ayez pas peur!»

Aux policiers, il criait: «On va s'en souvenir! On est nés ici!» J'ai cru à un agitateur qui voulait mettre de l'essence sur le brasier...

Pas du tout, finalement. Lucide, éloquent. Grande gueule, mais pas con. Je l'ai accroché, plus tard, pour jaser. Et ce que «Paul» m'a dit, je l'ai entendu toute la journée, hier, dans le quartier. Que les policiers sont obsédés par les gangs de rue...

Trop, peut-être. «Ils en viennent à mettre tout le monde dans le même bateau. Regarde-moi. Regarde comme je suis habillé...»

Paul portait un jean large qui lui arrêtait à mi-mollet. Une tuque. Un polo à rayures.

«Un gars de gang de rue peut être habillé comme moi. Mais je ne suis pas dans un gang de rue! Le problème, c'est que les policiers ne sont pas formés pour faire la différence. Et ils mettent tout le monde dans le même bateau...»

Si j'étais policier dans ce secteur de Montréal-Nord, autour du parc Henri-Bourassa, je foutrais probablement tout le monde dans le même Titanic. Les gangsters défient ouvertement les flics, ici. Un agent qui rentrait chez lui s'est fait tirer dessus, il y a quelques mois (le suspect a été acquitté). Une voiture de patrouille, au printemps, a été ciblée par une balle alors qu'elle roulait (aucun suspect n'a été arrêté).

Si j'étais policier ici, j'aurais peut-être la mèche courte. Je ne suis pas en train de vous parler de l'incident de samedi soir. Je vous parle des relations de tous les jours avec les citoyens. Je vous parle de l'attitude d'un policier qui travaille dans un quartier chaud quand il parle à un citoyen. De paranoïa, au fond.

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Brunilda Reyes a fondé et dirige Les Fourchettes de l'espoir. C'est une cuisine populaire qui fournit des repas à bas prix aux gens du quartier. Le local se trouve rue Pascal, à 100 mètres à l'est de la caserne de pompiers. Son discours ressemble à celui de mon grand Black.

«On sent les policiers paniqués par les gangs de rue. Mais il faut faire la différence, il ne faut pas traiter tout le monde de la même façon.»

J'ai attrapé Mme Reyes alors qu'elle quittait le local des Fourchettes de l'espoir. Dehors, la rue Pascal grouillait d'activité, encore plus que d'ordinaire. Elle était avec son fils, Victor Henriquez, et Christine Black, du Centre de jeunes L'Escale. Le fameux «milieu communautaire»? C'est eux...

J'ai dit à Victor, Christine et Brunilda à quel point on décriait le travail des agents du SPVM. À en croire les témoignages, les policiers sont tous des brutes, ici...

Ça peut arriver encore, une émeute comme celle de dimanche? Christine n'est pas certaine. Mme Reyes craint que si. Victor, lui, a eu cette réponse: «Tu mêles pauvreté et victimisation et tout peut arriver. T'es jamais safe tant qu'il y a ces deux éléments.»

Ici, dans un quartier comme Montréal-Nord, le flic a un travail impossible. Au-delà de la formation, au-delà de la police communautaire et des parties-de-basket-avec-des-jeunes-pour-nouer-des-liens-avec-le-milieu, le travail est dur, stressant et potentiellement explosif. Il faut le reconnaître. Alors je le reconnais.

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Mais il faut reconnaître un autre truc. C'est qu'être immigré ou fils d'immigré, c'est avoir perçu, à un moment ou à un autre de ta vie, une forme de racisme. Réelle ou imaginée, là n'est pas la question. Perception is reality, comme ils disent. Victor a souri. «Disons qu'il y a des questions posées sur un ton, des fois, qui appellent une réaction défensive, devant un policier...»

Victor parle de victimisation. Je ne sais pas si c'est le bon mot. Mais dans ce secteur chaud de Montréal-Nord, il n'en faut pas beaucoup pour qu'un citoyen sente qu'on le cible parce qu'il n'est pas un Tremblay. Juste le ton que prend un flic pour lui poser une question peut le rendre parano.

Je ne dis pas qu'il a raison d'être parano devant l'agent. Je vous dis que c'est la réalité: beaucoup de gens se sentent exclus du système parce qu'ils ne sont pas des Tremblay.

C'est peut-être ce qui explique que de simples citoyens ont applaudi, dimanche, quand ont explosé les voitures incendiées de ces pauvres pompiers.

Victor, encore: «La conclusion réelle: le milieu et la police ne se comprennent pas.» Comment atténuer la paranoïa mutuelle qui souille les rapports entre citoyens et policiers, dans ce quartier qui a accouché d'une rare émeute sociale made in Montreal? Bonne question. Je n'ai pas de réponse. Mais si on veut éviter la répétition des troubles de dimanche, une partie de la solution se cache dans cette réponse.