Une vue en kaléidoscope de la vie à Montréal. C'est ce que l'on vous propose avec la nouvelle série «Une journée à...» Cette semaine, notre chroniqueuse Rima Elkouri vous raconte sa journée passée à la cour municipale.

C'était dans la salle R10 de la cour municipale, l'autre matin. Un juif hassidique est venu s'asseoir à mes côtés, des papiers à la main. Quand est arrivé son tour, il est allé se placer devant le greffier. On lui a demandé de lever la main droite et de jurer qu'il dirait toute la vérité, rien que la vérité.

L'homme se présentait devant la Cour pour contester un jugement. «Vous avez reçu l'avis d'infraction à votre porte. Qu'en avez-vous fait? a demandé la juge, en anglais.

- C'était en français, je ne peux pas lire le français, a marmonné l'homme.

- Avez-vous fait appel à quelqu'un qui aurait pu traduire pour vous ou avez-vous appelé la Ville de Montréal?»

L'homme a dit qu'il ne s'en souvenait plus vraiment. Il a peut-être essayé, oui, d'appeler la Ville. Mais comme il ne parle pas bien français...

La juge est restée sceptique devant ces explications confuses. «Votre pétition pour révocation de jugement n'est pas acceptée», a-t-elle fini par dire. L'homme s'est dirigé vers la sortie, tout penaud. Il a chuchoté une question à l'agent de sécurité. «You must pay», lui a dit l'agent en haussant les épaules.

Avant lui, une dame de 60 ans avait quitté la salle en claquant la porte. Elle avait eu une contravention pour avoir conduit sans permis. Elle soutenait qu'elle n'avait jamais reçu la lettre l'avisant que son permis avait été révoqué. «J'étais en Floride un mois. Mon fils est décédé...

- C'était quand?» a demandé la juge.

La dame ne savait plus. «Vous devez quand même connaître la date du décès de votre fils!» a insisté la juge. La dame a fini par dire qu'elle était en Floride en septembre. Or, la lettre lui avait été envoyée quatre mois plus tôt. Le verdict est tombé. Coupable.

«Je n'ai pas reçu la lettre et je reçois un ticket! Ça n'a pas de sens! a protesté la dame, furieuse.

- Ça a du sens pour moi», a répondu la juge.

La dame a quitté la salle en injuriant la juge. «Coupable! Coupable! Elle déclare tout le monde coupable! Il n'y a rien à faire avec elle!»

Toute la journée, dans l'univers foisonnant de la cour municipale, j'ai ainsi zappé d'une histoire à l'autre, passant de cas anodins à d'autres plus sordides.

Dans la salle d'à côté, la R20, où l'on traite les cas de violence conjugale, il y avait un jeune homme aux cheveux longs aux côtés d'une jeune femme au ventre bien rond. L'homme avait déjà été déclaré coupable de voies de fait armées contre cette femme. Il avait été condamné à quatre mois de prison. Il est maintenant en liberté surveillée. On lui a interdit d'approcher le domicile de madame. Condition que l'on demande maintenant de modifier, comme le couple s'est réconcilié. «Étant donné qu'elle est enceinte et que monsieur est le père de l'enfant...»

«Madame, vous êtes à l'aise avec ça?» a demandé la juge. La jeune femme a dit oui. «Bonne chance, madame.»

Dans la salle suivante, la R30, il y avait un homme de 60 ans, menottes aux poignets, dans le box des accusés. Il avait déjà été reconnu coupable d'avoir battu sa mère de 85 ans. Il restait à déterminer sa peine. «Il était en état d'ébriété avancé quand l'incident est arrivé», a dit l'avocat de la défense en tentant de minimiser l'affaire.

La procureure de la Couronne est sortie de ses gonds. «Je vais être un peu crue. Mais ce que la défense dit, c'est: Pauvre de lui, il était bipolaire, il a battu sa mère et il était saoul. Mais monsieur ne peut pas se cacher derrière sa maladie! La victime, c'est madame, qui est ici.»

Des regards se sont tournés vers la mère de l'accusé, une femme élégante, tirée à quatre épingles.

La juge a suspendu la séance.

À 14h30, j'ai recroisé la mère de l'accusé, qui attendait avec son ami que la salle d'audience soit rouverte. L'ami trouvait que la mère avait tort de vouloir pardonner tant de choses à un fils qui avait tout de même tenté de l'étrangler. «Elle espère qu'il va changer à 60 ans!

- Arrête, j'ai le droit de vivre d'espoir», a riposté la dame, agacée.

On s'est mises à discuter. «Avez-vous des enfants? m'a-t-elle demandé.

- Oui.

- Seriez-vous capable de les condamner?

- Ce serait difficile, j'imagine... Ça reste toujours nos enfants.»

Et la dame de tirer la manche de son ami. «Écoute ce qu'elle dit. C'est une mère, elle aussi. Elle sait ce que c'est. Ça reste nos enfants.»

L'heure était venue de retourner dans la salle. Le fils, toujours menotté, a été appelé dans le box. La juge a rappelé qu'il s'agissait d'accusations sérieuses. Elle a noté que l'accusé ne reconnaissait pas ses torts et se voyait comme une victime, qu'il avait un problème d'alcool et que, étant donné sa dépendance affective et financière, il y avait un risque sérieux de récidive. Sa peine: six mois de prison.

La mère de l'accusé est sortie de la salle, bouleversée. Elle était au bord des larmes et se cachait les yeux avec les mains, héroïne d'un drame cornélien dont elle se serait bien passée.

Pendant ce temps, dans la salle R40, une femme accusée d'avoir volé six contenants de café plaidait coupable. Sa peine: une journée de prison.

C'était la fin de l'après-midi, je suis retournée voir ce qui se passait dans la salle où l'on se penche sur la métaphysique du stationnement montréalais. Un étudiant au doctorat, qui travaille à l'UQAM, est venu raconter que, un jour d'été, sa voiture, garée comme d'habitude boulevard de Maisonneuve, avait été mystérieusement remorquée. La rue avait été fermée durant la journée. Pourtant, il avait regardé partout et aucun panneau n'interdisait de stationner.

«Peut-être que c'était le festival Juste pour rire? a dit le procureur de la Ville.

- Je ne sais pas», a dit l'étudiant.

«Acquitté», a tranché la juge. Elle a ajouté, pince-sans-rire: «La Ville vous a donné une contravention pour vous dire que, l'été, vous ne devez pas travailler à l'université!»