«Vous venez-tu pour les auditions?» nous demande le costaud cerbère du café Cléopâtre, planté à l'entrée de ce haut lieu de l'effeuillage et de la personnification féminine, en plein coeur du Red Light montréalais.

Un léger malaise flotte dans la moiteur de cette soirée de juillet. «Euh, pas vraiment. On vient assister au cabaret Bio Dégradable. C'est en haut, non?»

Nous enfilons donc les escaliers jusqu'au deuxième étage du bar où se déroule, tous les premiers lundis du mois, ce spectacle «littéraire» furieusement drôle. Le concept? D'une simplicité désarmante. Des comédiens sans costume lisent quelques pages d'autobiographies qui ont été rédigées par des «vedettes québécoises» - notez ici l'emploi ironique des guillemets -, comme Martin Stevens, Chantal Pary, Andrée Boucher, Danielle Ouimet, Anne Létourneau, André Montmorency, Marc Hamilton, ainsi qu'Élisabetta et Julie de Loft Story.

Aucun texte n'a été altéré : ce que les acteurs déclament sur la petite scène dépouillée a vraiment été édité et publié. Vous ne regretterez pas les 20 $ que coûte le billet d'entrée. Et je me demande pourquoi Gilbert Rozon n'a pas encore repêché cette troupe à l'humour grinçant et décapant.

La soirée commence en coup de poing avec la comédienne Ève Duranceau, qui se glisse dans la peau de Chantal Pary. Autobiographie en main (J'ai tout caché derrière mes sourires), elle expose les folies de son deuxième mari, un obsédé de la guerre du Vietnam, qui lui crachait au visage et qui écoutait ses 45 tours dans les tranchées, «une mitraillette dans une main et un tourne-disque dans l'autre».

Vous comprendrez que ce cabaret Bio Dégradable baigne dans le sarcasme, le mauvais goût et le deuxième degré. J'adore. Et pourquoi rigoler méchamment de la plume malhabile de ces artistes? Facile : parce qu'ils ont volontairement couché sur papier, sans aucune pudeur ni gêne, des pans de leurs vies insignifiants, troublants et parfois même dégoûtants.

Tiens, prenons le bouquin J'ai choisi la vie de l'ex-dame de coeur Andrée Boucher, lu par l'efficace Karen Elkin. Pendant de longs paragraphes, la comédienne détaille avec minutie un lavement intestinal qui a mal tourné, la laissant à quatre pattes dans la salle de bains, essuyant les dégâts avec une jolie serviette de plage achetée par son copain. Trop d'information, dites-vous? En effet. Mais lus avec intensité et passion, ces détails deviennent d'une drôlerie et d'une efficacité fantastiques.

Passons maintenant au livre d'Anne Létourneau La folie des douceurs : de la boulimie à la spiritualité, lu avec flamboyance par Marie-Lyse Laberge-Forest. J'en braillais d'entendre la comédienne parler de son amie et alliée la loutre, de ses voyages chamaniques et de sa conviction profonde qu'elle devait se rendre au Light Institute, au Nouveau-Mexique. Des folies de la sorte, ça ne s'invente pas. Ça s'écrit, par contre.

Malgré les paroles absurdes qu'ils débitent, jamais les comédiens du cabaret ne perdent leur contenance, quasiment possédés par les mots surréalistes qui filent sous leurs yeux. Dans la foule, les quelque 130 spectateurs se tapent bruyamment sur les cuisses.

Entre chacun des numéros, le comédien Mathieu Grondin apparaît pour réciter de courts passages du journal intime de Julie Lemay de Loft Story comme celui-ci : «le silence ne s'entend pas». Bravo, Julie.

Les mémoires de Danielle Ouimet, lues par Kim Lavack-Paquin, renferment aussi plusieurs bizarreries, dont ses récits d'enfance où son père, fasciné par les accidents sanglants, l'attachait sur le toit de son camion et l'emmenait en balade sur des routes de gravier.

Geneviève Brouillette a été épatante dans les souliers d'Elisabetta de Loft Story : «Certains m'ont comparé à Paris Hilton. Tant mieux». De la grande littérature.

Pour ajouter une deuxième couche d'ironie au cabaret Bio Dégradable, sachez que ses organisateurs versent une partie des profits à l'organisme Arbres Canada, qui se spécialise dans le reboisement. «A-t-on vraiment tué des arbres pour publier tous ces livres», se questionne le cocréateur du spectacle humoristique, Didier Morrissonneau.

La prochaine édition se tiendra le lundi 4 août, toujours au chic café Cléopâtre. Réservez vos places au (514) 965-5559. Et préparez-vous à pleurer de rire.