Les organisateurs du Grand Prix du Canada ont annulé la journée portes ouvertes en invoquant les menaces de perturbation liées au conflit étudiant. Selon vous, ont-ils raison de rayer cette populaire activité du calendrier pour des motifs de sécurité? Jouent-ils le jeu de la CLASSE en prenant cette décision? LES COMMENTAIRES DOIVENT ÊTRE SIGNÉS.

Paul Daniel Muller

Économiste.



UN MOINDRE MAL



Oui, les organisateurs du Grand Prix ont eu raison d'annuler la journée portes ouvertes. Si des casseurs parvenaient à créer un mouvement de panique dans la foule, les images feraient le tour du monde, sans même parler des risques de blessures. Le dommage résultant de l'annulation de cette activité cette année me paraît moindre que celui que le Grand Prix subirait à long terme advenant ce scénario. Il est difficile d'empêcher des casseurs de se mêler à la foule dans une aire ouverte. Pour ce faire, il faudrait filtrer les gens à l'entrée du site. Adieu l'esprit festif ; bonjour l'esprit de siège. Les exclus auraient immanquablement dénoncé l'arbitraire du filtrage. Ils auraient obtenu le rôle préféré des provocateurs : celui de victimes de l'oppression et de défenseurs de la « liberté d'expression ». Même si la CLASSE promet de ne pas mettre en péril la sécurité des gens à l'occasion du Grand Prix et autres festivals, son refus de condamner la désobéissance civile et le vandalisme encourage les manifestants les plus radicaux à commettre des actes répréhensibles, voire dangereux. C'est pourquoi la CLASSE peut être tenue partiellement responsable de l'intimidation dont l'organisation du Grand Prix a fait l'objet. Il appartient maintenant aux amateurs du Grand Prix, ainsi qu'à tous les Montréalais, de réprouver haut et fort cette stratégie « d'intimidation sournoise ». C'est à l'ampleur de cette réprobation que nous saurons si cette stratégie a été payante.

Paul-Daniel Muller

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue.



RÉACTION EXCESSIVE



Je comprends que les organisateurs du Grand Prix craignaient pour la sécurité des équipements et des personnes, ainsi que pour le déroulement festif de l'événement. Toutefois, je ne crois pas que les étudiants (et autres protestataires) auraient été assez stupides pour perturber sérieusement des festivités populaires. Les manifestants auraient fait du bruit avec leurs casseroles? Les bolides en génèrent bien assez eux-mêmes. Les manifestants auraient endommagé les équipements? On aurait pu fouiller les gens qui entrent sur le site et mettre en consigne lesdites casseroles par la même occasion. Si les casseurs avaient quand même réussi à se faufiler et à faire du grabuge, ils feraient perdre la sympathie que plusieurs accordent aux étudiants. Même ceux qui en ont assez du gouvernement Charest veulent prendre une pause estivale et s'amuser en paix. Notre été est si court! J'aurais compris que l'on augmente la présence policière à l'événement, mais l'annuler me semble exagéré. La CLASSE a promis de perturber la vie économique de Montréal. Or, c'est de l'économie de la province que dépend la capacité de l'État de fournir à faible coût les services publics, dont l'enseignement universitaire. Encore une fois, personne ne sort gagnant de cet affrontement.

Mélanie Dugré

Avocate.

IRONIE ET INJUSTICE



À vue de nez, la décision d'annuler la journée portes ouvertes envoie le message que les organisateurs cèdent sous la pression et accordent aux casseurs une crédibilité dont ils ne devraient pas jouir. Mais au-delà de cette première impression, je soupçonne deux choses. Premièrement, je pense que la menace est plus grave et sérieuse que ce qu'on veut bien nous en dire, histoire d'éviter de faire fuir les éventuels spectateurs. Deuxièmement, malgré l'indifférence et la candeur manifestées par Bernie Ecclestone face aux manifestations, les diverses écuries ont probablement exprimé des inquiétudes à l'égard de la sécurité des ressources, matérielles et physiques, de leurs équipes. À ce chapitre, Montréal a une obligation de résultats et ne dispose pas du droit à l'erreur. Les conséquences de cette annulation demeurent toutefois révoltantes pour bien des amateurs de Formule 1. Ce sont des milliers de passionnés de course automobile qui attendent cet événement toute l'année, et qui n'ont pas nécessairement les moyens d'acheter des billets à gros prix, à qui on vient de gâcher le meilleur de l'été. Incidemment, ce sont ces mêmes citoyens ordinaires, vaillants travailleurs et courageux payeurs de taxes, qui assument une large part de la facture des droits de scolarité. Ironique, quand même. Mais surtout profondément injuste.

Mélanie Dugré

Denis Boucher

Associé au sein d'un cabinet de relations publiques.



PAS LE CHOIX



Bien que les menaces formulées par Gabriel Nadeau-Dubois se voulaient volontairement vagues, les organisateurs n'avaient pas le choix. C'est peut-être, encore une fois, accorder beaucoup trop d'importance au porte-parole de la CLASSE, mais il n'était pas question de mettre en péril la sécurité des spectateurs et des écuries. Il ne serait pas aussi à notre avantage que le Grand Prix puisse servir de plate-forme médiatique internationale à des événements qui terniraient encore davantage l'image de Montréal. La presse internationale a déjà assez véhiculé d'images d'émeutes et de vandalisme pour que notre industrie touristique s'en ressente. Cet argent étranger, injecté normalement dans notre économie, ne reviendra pas. Il sera dépensé ailleurs. Un point c'est tout. Il faut avoir un regard particulièrement obtus pour ne pas se rendre compte qu'en menaçant un événement-phare de Montréal, la CLASSE se nuit à elle-même. C'est une chose de manifester dans la paix ou de frapper sur des casseroles. C'en est une autre de nuire à l'économie d'une ville et ainsi toucher des milliers de salariés qui comptent sur la saison touristique pour joindre les deux bouts et paient les impôts qui permettent de maintenir les droits de scolarité au plus bas.

Denis Boucher

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal. Il s'exprime à titre personnel.



ACTIONS PARADOXALES



Dans les circonstances, les organisateurs du Grand Prix n'avaient probablement pas le choix. Les actions de nos « Che Guevara en herbe » (la CLASSE, la CLAC et autres groupes du même acabit) sont au fond assez paradoxales, car celles-ci nuisent, d'abord et avant tout, aux gens ayant un statut économique et social plus modeste. Récapitulons les faits : l'offre initiale du gouvernement Charest, notamment par sa bonification du programme de prêts et bourses, avait pour effet net d'avantager les étudiants issus de familles à plus faible revenu. Pourtant, nos « Che Guevara » la combattent avec l'énergie du désespoir. Puis, en nuisant activement à la saison touristique de Montréal ainsi qu'aux restaurants et bars du centre-ville, ils nuisent en fait directement à des types d'emploi (réceptionniste, serveur, hôtesse, personnel d'entretien) souvent occupés par des étudiants et/ou par des gens moins fortunés. La conséquence directe de leurs actions est qu'il y aura en effet moins d'emplois de disponibles cet été et/ou moins d'heures à travailler pour les jeunes qui n'ont pas boycotté leurs cours et qui, eux, tentent de travailler afin, justement, de payer les fameux 300 quelques dollars par année qui cause cette crise existentielle majeure auprès de nos « Che Guevara »! Ceci dit, au point où nous en sommes, il faudrait peut-être mieux leur donner le gel qu'ils réclament, voire même la gratuité complète. Mais ils auront alors les universités et les diplômes qu'ils méritent, c'est-à-dire quelque chose qui ne vaut pas grand-chose.

Michel Kelly-Gagnon

Jean Gouin



Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec



DONNER DU POUVOIR À LA CLASSE



Je dois l'avouer, j'ai été surpris de la décision des organisateurs du Grand Prix d'annuler la journée portes ouvertes parce qu'il y avait des menaces de perturbation par la CLASSE. D'une part, on peut comprendre la décision de François Dumontier de vouloir s'assurer que le Grand Prix du Canada se déroulera sans anicroche, décorum pour un événement international oblige. Mais, d'autre part, M. Dumontier donne beaucoup d'importance à la CLASSE ce faisant. Je peux également comprendre qu'il en va de l'image du Grand Prix et de la Ville de Montréal, qui ont beaucoup à perdre si les manifestants se font entendre haut et fort lors de cette journée. Année après année, on se demande si l'on pourra garder le Grand Prix, alors que le grand patron de ce cirque, Bernie Ecclestone, trouve toujours le moyen de le remettre en question. M. Dumontier a préféré ne pas jouer cette carte.  Par ailleurs, la CLASSE réalise soudainement que son pouvoir croît avec la menace, sans même qu'elle n'ait à la mettre à exécution. Gilbert Rozon l'a bien compris. Il a demandé à rencontrer les étudiants pour s'expliquer avec eux et leur faire comprendre les vertus de tenir des événements internationaux à Montréal, à Québec ou au Québec, tant au niveau touristique qu'économique. Il est à souhaiter que les étudiants le comprennent également. Les étudiants doivent aussi saisir qu'ils ont aussi beaucoup à perdre. Et ça, je suis loin d'en être certain.

Jean Gouin

Pierre Simard

Professeur à l'ENAP, à Québec

TOUT À PERDRE



Les organisateurs du Grand Prix ne jouent pas. Ils ne jouent pas avec la sécurité des visiteurs, comme ils ne jouent pas avec les risques que leur image soit ternie par des manifestations sans aucun rapport avec l'événement. On peut penser que permettre au public d'envahir le circuit posait plusieurs difficultés de maintien de l'ordre. Combien de policiers aurait-il fallu mobiliser pour assurer la sécurité de l'événement? Le problème, c'est qu'au Québec, il est devenu pratiquement impossible de maintenir l'ordre public sans encourir les foudres d'une gauche bien-pensante. Qu'on aime ou pas, le Grand Prix est d'abord et avant tout un événement médiatique. Or, d'un point de vue médiatique, le Grand Prix avait tout à perdre à maintenir à son programme cette journée portes ouvertes. Imaginez la couverture de presse au lendemain d'un événement où les médias n'ont d'autre chose à couvrir que les manifestations étudiantes. Dans cette histoire, c'est la CLASSE qui se fait prendre à son propre jeu.  Aujourd'hui, les amateurs de F1 sont furieux. Et je ne suis pas sûr que ces derniers troqueront le bruit des moteurs pour celui... des casseroles. La sympathie à l'égard de la cause étudiante risque fort de s'essouffler, contrairement aux bolides de la F1.

Pierre Simard

Caroline Moreno

Écrivain et comédienne.



PERTURBATIONS LIBÉRALES



Les menaces émises proviennent d'Anonymous. La CLASSE, de son côté, a mentionné qu'elle profiterait de la vitrine des événements à venir pour faire connaître à travers le monde la politique répressive qu'exerce le gouvernement Charest à l'endroit de ceux qui le contestent. Les médias canadiens, Gilbert Rozon et Gérald Tremblay en ont fait tout un plat et la peur a gagné les organisateurs du Grand Prix qui ont choisi d'annuler, à tort, leur journée portes ouvertes. En réalité, les manifestations se déroulent dans le calme et la bonne humeur quand la police n'intervient pas à coup de gaz lacrymogène, de balles de caoutchouc, de matraque, d'arrestations arbitraires, ce que l'ONU a par ailleurs critiqué. Le combat des Québécois pour l'accessibilité à l'instruction et pour le respect de la démocratie fait couler beaucoup d'encre en Europe ainsi qu'en Amérique latine où il reçoit de nombreux appuis et force l'admiration. Bientôt, la pression sera telle que Jean Charest devra démissionner. C'est l'objectif visé par la CLASSE et par une large majorité de Québécois qui en ont par-dessus la tête des perturbations libérales.

Caroline Moreno

Guy Ferland

Professeur de philosophie au collège Lionel-Groulx de Sainte-Thérèse.



À L'AVANTAGE DU GOUVERNEMENT



Loin de jouer le jeu de la CLASSE, le retrait de la journée portes ouvertes du Grand Prix du Canada fera davantage l'affaire du gouvernement qui pourra encore marteler le supposé caractère extrémiste de cette association d'étudiants. Comme le disait le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, en fin de semaine, on pourrait croire que cette décision du GP consiste à faire porter le blâme à la CLASSE pour l'annulation de cette activité. On pourrait même envisager que cette annulation a pour but de forcer l'association étudiante à se prononcer d'avance sur le genre d'activités de perturbation économique envisagée dans le cadre des grands événements d'été. En ce sens, la CLASSE a d'ailleurs rappelé, lors de son congrès de la fin de semaine, qu'elle « n'a en effet voté aucune perturbation des grands festivals qui auront lieu à Montréal». Et comme pour rassurer davantage les organisateurs d'événements populaires de l'été, « la Coalition a également lancé un appel à une mobilisation plus large dès le début de l'automne, discutant même des perspectives d'une grève sociale au retour des vacances». D'ici là, rien à craindre de la CLASSE qui ne veut certainement pas s'aliéner l'opinion publique en perturbant des activités familiales de divertissement pendant l'été.

Raymond Gravel

Prêtre dans le diocèse de Joliette.



LA PEUR D'AVOIR PEUR



Quelle est cette peur des organisateurs du Grand Prix du Canada d'annuler la journée portes ouvertes, à cause des manifestations, non seulement étudiantes mais de toutes les personnes qui en ont assez du gouvernement libéral actuel? Une autre tactique pour culpabiliser les jeunes et les manifestants et tenter de les discréditer auprès de la population. En quoi les manifestations pourraient-elles perturber le Grand Prix ou encore les activités culturelles de l'été à Montréal? Une manifestation, ça dérange nécessairement; sinon, à quoi ça sert? Mais en même temps, il faudrait nous interroger collectivement à savoir qui sont les responsables de cette situation au Québec? L'entêtement du gouvernement Charest à vouloir se faire du capital politique sur le dos des étudiants et à distraire l'opinion publique sur la corruption de son gouvernement que l'enquête Charbonneau saura nous dévoiler dans les semaines à venir, nous prouve, une fois de plus, qu'il faut des élections générales pour nous débarrasser une fois pour toutes de ce gouvernement qui a perdu toute crédibilité.  Comme le disait bien un manifestant lors du rassemblement du 22 mai dernier : «Quand un conducteur a les deux mains sur le volant et  ne voit pas les milliers de personnes sur la route, il est dangereux!» Et j'ajouterais : il est grand temps qu'il perde son permis de conduire! Nous en sommes là, actuellement. Nous sommes la risée des Français et nous sommes la honte du reste du Canada.

Raymond Gravel