Je songe beaucoup à ma chienne Clara, depuis un moment. Cette belle tête penchée continue de m'émouvoir. J'aime formidablement le lourd museau qui tombe sur mon bras, les yeux qui déjà se ferment plus tôt qu'avant, cèdent de plus en plus à la fatigue.

Je songe beaucoup à ma chienne Clara, depuis un moment. Cette belle tête penchée continue de m'émouvoir. J'aime formidablement le lourd museau qui tombe sur mon bras, les yeux qui déjà se ferment plus tôt qu'avant, cèdent de plus en plus à la fatigue.

Chaque fois que j'en ai voulu à la vie de ne m'accorder que si peu de temps, je me suis tourné vers cet animal. Ce n'est pas que j'apprenais de lui : mes modèles étaient ailleurs que dans cette existence passée à dormir, à manger, à rêver de jeux simples, et dans laquelle la seule durée ne fut jamais que celle enfermée dans l'immédiat.

Mais je suis toujours touché par le fait que Clara vieillisse sans le savoir. D'une certaine façon, elle se croit immortelle. C'est cette vie vécue sans conscience, c'est-à-dire hors du temps, sans autre attente que d'aimer et d'être aimé, qui m'émeut tant.

Je ne l'envie pas: je préfère encore ma dure mais exaltante conscience de mortel, et la capacité que j'ai de réfléchir à ma fin, de m'y préparer, je veux dire: de lui donner un sens.

Simplement, je trouve beau la manière qu'a Clara de vieillir sans souffrance morale, précisément parce que la conscience ne joue pas de rôle dans cette vieillesse : apparemment, son corps seul sent sur lui l'inexorable passage du temps.

Je pose ma main sur ces flancs imperceptiblement amaigris, entre lesquels palpite depuis 12 ans un coeur d'or. Je découvre dans ce regard qui pourtant commence à s'éteindre de nouvelles irisations, un furtif miroitement d'étoile. J'y rencontre les faibles signes d'un abandon, graduel mais serein, celui d'un être qui cesse peu à peu de se mêler au jeu de la vie pour s'attarder plus complètement à celui de l'amour: je ne fus jamais observé avec autant de bonté que dans la vieillesse de cette bête-là.

Je ne partage plus désormais avec elle les amusements que son amitié me réclamait autrefois. Nous n'en sommes plus là: d'autres accords plus confidentiels, plus tendres, mais non moins exigeants, ont été conclus entre nous.

La balle mille fois lancée puis rapportée a été laissée sous la neige: elle n'intéresse plus ma vieille compagne, qui se consacre à présent à de plus méditatifs bonheurs. Ce qui lui reste de vieillesse se passera sans trop de heurts, auprès d'un homme qui, comme elle, trouve sur une épaule aimée et dans l'observation du monde presque tout ce qu'il lui faut.

Je ne voudrais pas qu'on juge trop sévèrement ce que j'écris ici: à l'instant de ma mort, lointaine mais en quelque sorte déjà visible, ma dernière pensée ne sera pas que pour ma femme.

J'aurai aussi en tête l'image, à jamais inscrite dans ma mémoire, d'une vieille chienne aux yeux las, cernés de poils gris.