La couverture médiatique de l'élection américaine, cette longue téléréalité qui dure depuis plus d'un an et qui a connu son « climax » narratif dans la nuit de mardi à mercredi, est entrée dans la ronde « trouvons des explications ».

Racisme, colère de l'homme blanc moyen, délocalisation des emplois, colère contre l'establishment - quoique ça me dépasse qu'on puisse penser contester l'élitisme en élisant un milliardaire privilégié -, voilà les grandes lignes des analyses qui se dégagent depuis hier.

Et si les racines de ce choc se trouvaient ailleurs, notamment dans le culte de la pensée positive qui avale l'Amérique ? De fait, l'élection de Donald Trump est l'aboutissement logique d'une idéologie aux fondements mêmes de la nation américaine, soit la fameuse « poursuite du bonheur » inscrite dans la Constitution américaine.

Or, cette poursuite du bonheur est strictement individualiste, alimentée par le mythe du self-made- man : l'homme libre qui, grâce à sa seule volonté et ses efforts, réussit à accumuler de la richesse et atteindre le « succès », peu importent ses origines. C'est le clou qu'a d'ailleurs enfoncé sans relâche Donald Trump tout au long de sa campagne, répétant sans cesse à quel point il était un homme d'affaires brillant qui avait su bâtir un empire financier impressionnant.

Peu importe si les faits le contredisaient (faillites, fraude, résultats financiers décevants dans plusieurs projets), le discours du « gagnant » indépendant, débrouillard et déterminé était répété sans relâche, évitant par le fait même d'aborder le fait que sa fortune s'était construite sur une grande fortune familiale préexistante.

Rappelons que le pasteur de la famille Trump était Norman Vincent Peale, proche de la famille Nixon et des Reagan, auteur du best-seller planétaire Le pouvoir de la pensée positive, publié à l'origine en 1952, en plein boom économique de l'après-guerre. Pasteur méthodiste peu enclin aux débats théologiques, Peale souhaite mettre la spiritualité au service d'une plus grande prospérité personnelle. Aux fondements de sa philosophie se trouve l'idée que nos idées créent la réalité. Il écrit par exemple : « Ne vous imaginez jamais en train d'échouer. Cela est très dangereux, car l'esprit cherche toujours à réaliser ce qu'il imagine. Imaginez donc toujours le succès, peu importe à quel point les choses vont mal dans le moment présent. »

Selon Peale, les individus risquent donc l'échec dans toutes leurs entreprises, voire dans leur vie entière, à moins d'entretenir constamment et uniquement des pensées positives, un dogme qui, de surcroît, s'applique le plus souvent à nous convaincre qu'en dehors de l'accumulation de la richesse, point de salut.

C'est une philosophie qui fait aussi reposer sur l'individu toute la responsabilité de sa condition. Bref, si ce sont nos pensées qui créent la réalité, les inégalités économiques, raciales ou de genre n'ont pas d'importance dans le destin d'un individu. Voyons, il suffit de se relever les manches et de « penser positif » !

Pour l'Américain blanc de classe moyenne, qui a vu depuis 20 ans sa qualité de vie et sa sécurité financière de plus en plus fragilisées, l'image d'un prétendu self-made-man promettant de ramener la prospérité au pays grâce à sa seule volonté avait de quoi séduire, on peut le comprendre.

Mais à entendre Donald Trump balayer cavalièrement du revers de la main les questions sur ses propos sexistes et racistes, à le voir bomber le torse en disant « je suis le meilleur » même lorsqu'on lui rappelle ses échecs financiers ou son ignorance des enjeux sociopolitiques planétaires, on voit le dogme pernicieux de la pensée positive à l'oeuvre.

Une incapacité totale à reconnaître ses propres failles et angles morts.

Voilà qui devrait nous inquiéter profondément pour la suite des choses. Espérons que l'élève brouillon et dissipé, mais néanmoins toujours convaincu d'être « le meilleur » en toutes circonstances, sera mis à rude épreuve par le fardeau réel de la présidence, une leçon d'humilité et de réalisme s'il en est.