J'ai décliné l'invitation à me présenter devant la Commission parlementaire chargée d'étudier le projet de loi sur la neutralité religieuse de l'État. J'ai fait valoir que mes idées sur le sujet étaient bien connues ; il suffisait de retourner au rapport de la commission que j'ai coprésidée en 2007-2008.

J'avais une autre raison : sur la base d'expériences précédentes, j'étais sûr que ces idées seraient rejetées. Ce qui s'est avéré. Voici pourquoi ce projet, dans sa formulation actuelle, me semble voué à l'échec.

Le projet est centré sur la neutralité religieuse de l'État, mais ce concept est défini beaucoup trop sommairement. Il recevra inévitablement des interprétations différentes en fonction des situations.

Ainsi, on peut comprendre le projet comme un engagement de l'État à ne manifester aucune préférence en matière de religion. Mais ce principe peut s'appliquer de deux façons.

Si on prend l'exemple du cours Éthique et culture religieuse, on peut en bannir toutes les religions ou bien les admettre toutes. Dans les deux cas, la neutralité est respectée. De même, on peut interdire tous les symboles religieux dans l'enceinte de l'Assemblée nationale ou on peut tous les accueillir.

Qu'est-ce qui fait défaut ? Ce qui manque, c'est l'affirmation d'un autre principe fondamental, soit la séparation de l'État et des Églises, que l'on confond ici avec la neutralité. Le principe de séparation est pourtant un fondement de notre société et de la civilisation occidentale. C'est ce qui a ouvert la voie à la société civile et à la démocratie. Pourquoi ne pas l'avoir rappelé haut et fort ? C'est pour moi inexplicable.

Il y a un autre sujet de perplexité, déjà signalé dans ce journal par Lysiane Gagnon dans sa chronique du 27 octobre. Dans sa formulation présente, l'interdiction de recevoir des services publics à visage découvert inclut les services de santé. Une femme portant une burqa ou un niqab qui se présenterait aux urgences d'un hôpital ne recevrait donc aucun soin si elle refusait de dévoiler son visage. Qu'arriverait-il si cette femme décédait des suites d'une telle décision ?

DES LACUNES ÉTONNANTES

D'autres lacunes suscitent l'étonnement. Le projet de loi ignore la question du port des signes religieux chez les employés des institutions publiques et parapubliques. Il n'y est nullement question non plus de la récitation de prières ou de la présence de symboles religieux dans les édifices municipaux ou d'autres établissements de l'État - et encore moins du crucifix au mur de l'Assemblée nationale. On aurait cru que c'était la responsabilité évidente du gouvernement que de s'employer à trancher ces questions qui nous divisent depuis longtemps.

Le projet traite aussi des accommodements, principalement des balises devant guider le traitement des demandes. On se dit qu'enfin, l'État va mettre fin aux ambiguïtés en officialisant une marche à suivre claire, cohérente et uniforme. On ne trouve malheureusement rien de tout cela.

Le projet n'offre que des énoncés convenus qui reconduisent l'actuel contexte d'incertitude.

Il reste vague aussi sur des points importants. Ainsi, on fait intervenir le « patrimoine culturel religieux » comme motif d'exemption, mais cette notion élastique n'est pas définie.

Divers organismes québécois ont élaboré des procédures afin de les orienter en matière d'accommodement. Certaines sont plus articulées que la proposition du projet de loi. On comprend mal aussi qu'avant de légiférer, le gouvernement n'ait pas cru nécessaire d'étudier soigneusement l'état actuel de la pratique des accommodements au Québec. Mais ceci est une autre histoire.

Bref, on se demande à quoi sert ce projet qui, par quatre chemins, finalement ne va nulle part. Il est évident qu'à moins d'importantes modifications, il faudra rouvrir ce dossier tôt ou tard.