Alors que l'assainissement des finances publiques québécoises commence à porter ses fruits, Ottawa subit des pressions pour creuser son déficit afin de stimuler la croissance canadienne.

Le ministre des Finances Bill Morneau présentera demain sa mise à jour budgétaire. En mars, il avait misé sur un déficit de 29,4 milliards pour l'exercice en cours et de 29 milliards pour 2017-2018 sur des revenus budgétaires projetés de quelque 287 milliards cette année et 302 milliards, l'an prochain.

Cette plongée dans l'encre rouge équivaut à environ 1,5 % de la taille de l'économie, ce qui peut sembler beaucoup quand on sait que les finances publiques avaient retrouvé l'équilibre en 2014-2015 et que le déficit de 2015-2016 a été contenu à 1 milliard seulement.

C'est néanmoins assez peu : les États-Unis ont bouclé l'exercice 2015-2016 (qui courait du 1er octobre au 30 septembre) avec un déficit de 587 milliards, ou 3,1 % du PIB, contre 439 milliards, ou 2,4 % du PIB, un an plus tôt.

L'élection présidentielle de la semaine prochaine, quels qu'en soient les résultats, suggère que la situation ne s'améliorera pas de sitôt : Donald Trump promet d'importantes baisses d'impôt, tandis qu'Hillary Clinton veut lancer un vaste programme de dépenses en infrastructures, censé, il est vrai, se financer par des hausses d'impôt sur le revenu des plus nantis.

De ce côté-ci de la frontière, la réforme de l'impôt promise par les libéraux est déjà en place. Ce qui fait défaut, c'est la croissance escomptée pour limiter le déficit à 29,4 milliards, même si cette prévision contient un coussin de 6 milliards environ.

En mars, le ministre Morneau misait sur un rythme d'expansion réelle de 1,4 % cette année et de 2,2 % en 2017.

Il y a quelques jours, la Banque du Canada fondait son nouveau scénario économique sur une augmentation limitée à 1,1 % en 2016 et à 2,0 % l'an prochain.

En mars, le ministre ne pouvait prévoir les incendies de forêt dans la région albertaine des sables bitumineux ni la croissance économique anémique des États-Unis au premier semestre.

Outre ces circonstances exceptionnelles, il paraît maintenant acquis que les assises de l'économie canadienne sont moins robustes qu'on ne le croyait encore l'hiver dernier.

Le gouverneur de la Banque du Canada Stephen Poloz a admis que la possibilité d'une nouvelle baisse du taux directeur avait été discutée par le Conseil de direction, il y a quelques jours. Il a précisé que la faiblesse de la compétitivité des entreprises canadiennes et de leurs exportations était en partie attribuable à des infrastructures déficientes.

Pour sa part, le Conseil consultatif en matière de croissance économique a remis un rapport plutôt alarmant au ministre Morneau : si on ne redresse pas la barre, la croissance annuelle de l'économie canadienne sera d'environ 1,5 % au cours du prochain demi-siècle. Parmi les remèdes suggérés qui relèvent de la compétence du ministre, il y a la création d'une banque de développement des infrastructures.

Le rapport souligne que quatre des villes les plus congestionnées d'Amérique du Nord sont au Canada : Montréal (on s'en doute bien), Toronto, Vancouver et Halifax.

Le budget Morneau prévoit déjà 4 milliards en augmentations des dépenses d'infrastructures cette année et 7,3 milliards en 2017.

Ottawa estimait que cela allait augmenter la croissance de 0,2 point de pourcentage cette année et 0,4 point l'année suivante.

Gonfler cette enveloppe en devançant des chantiers serait dans l'air du temps.

La semaine dernière, l'économiste en chef de l'agence de notation de crédit DBRS, Fergus McCormick, a rencontré des investisseurs institutionnels de Vancouver, Calgary, Edmonton, Toronto et Montréal. Son message : le Canada est l'élève modèle du Fonds monétaire international, selon qui investir dans les infrastructures reste le meilleur accélérateur de la croissance.

Selon le FMI, investir l'équivalent de 1 % du PIB réel dans les infrastructures pendant deux ans et 0,5 % la troisième année est susceptible d'augmenter le PIB de 1,7 % les première et deuxième années et de 0,8 % la troisième.

Des transferts aux provinces ou des soutiens à la consommation de même ampleur n'ont pas la même efficacité, selon le modèle du FMI.

Selon M. McCormick, un pays assez peu endetté comme le Canada doit profiter de la faiblesse historique des taux d'intérêt pour emprunter afin de se doter d'infrastructures porteuses.

Ceux et celles qui craignent que pareille démarche soit susceptible de faire perdre au Canada la note de AAA sur la qualité de sa dette n'ont donc plus à s'inquiéter : c'est une des quatre agences de notation qui soutient une telle approche.

infographie la presse