Le Québec vient de recevoir un F, et ce n'est pas pour « fantastique ! ». Selon le nouveau palmarès de l'Institut Macdonald-Laurier, c'est la province où les dossiers criminels traînent le plus longtemps, de beaucoup. La deuxième pire note au pays était un C, au Manitoba et en Nouvelle-Écosse.

Plusieurs choses fonctionnent bien malgré tout au Québec : le taux de criminalité reste faible et les coûts en sécurité publique sont les plus bas au pays, révèle le rapport. Mais pour les délais, notre justice criminelle prend la couleur de nos routes, l'orange des cônes.

La justice n'est pas un ruban qui se coupe devant les caméras et une foule en délire. Il n'y a pas beaucoup de votes à gagner avec la « gestion raisonnable » des délais. Mais Québec et Ottawa devront oser ce beige.

De toute façon, ils n'ont plus vraiment le choix. Pour s'en convaincre, ils n'ont qu'à regarder au-dessus de leur tête. Une épée y est suspendue depuis juillet dernier avec l'arrêt Jordan, dans lequel la Cour suprême a établi des délais maximaux de  18 mois pour les dossiers de la Cour du Québec et de 30 mois pour ceux de la Cour supérieure. Au-delà de cette durée, à moins de circonstances exceptionnelles, les accusés peuvent demander à être libérés.

Les conséquences se ressentent déjà. Cette semaine, le Hells Angels Salvatore Cazzetta a plaidé avec succès l'arrêt Jordan. Les accusations qui pesaient sur lui dans le dossier Machine ont ainsi été abandonnées. Il aurait attendu au total 96 mois avant de subir son procès, a calculé la cour.

À cela s'ajoutent les ratés des mégaprocès qui ont suivi les opérations Printemps 2001 et SharQc, en 2009. Ces réussites policières, qui avaient pratiquement décimé les motards, ont été suivies par un échec juridique. Les délais furent si longs que des dizaines d'accusés ont réussi à être libérés sans subir de procès. Ce risque était pourtant bien connu. En 2001, le Barreau mettait déjà en garde contre ce risque de blocage. C'est « comme si on branchait une ligne de (...) la baie James dans un grille-pain », imageait alors le bâtonnier du Québec, Me Pierre Gagnon.

C'est dans ce survoltage qu'ont brûlé des millions de dollars investis en ressources policières.

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À court terme, il faudrait ajouter des juges, greffiers et salles, particulièrement à Montréal. Mais l'argent ne suffira pas, car le problème est beaucoup plus profond. C'est toute une culture qu'il faut changer. La solution passe autant par Québec et Ottawa que par la communauté juridique.

À Ottawa, le gouvernement Trudeau peut annuler les peines minimales et les limites aux peines avec sursis, deux lois conservatrices qui ont bêtement engorgé les tribunaux.

À Québec, d'importants rapports seront déposés dans les prochaines semaines.

D'abord, ceux du Directeur des poursuites criminelles et pénales reviendront sur la gestion des mégaprocès et sur les ratés particuliers de l'opération SharQc, dont la lenteur géologique a été utilisée par des dizaines d'accusés pour obtenir une libération ou une réduction de peine.

Ensuite, le rapport du groupe de travail lancé l'hiver dernier par la ministre de la Justice Stéphanie Vallée dévoilera ses recommandations. On peut en deviner la teneur.

Pour les procureurs de la Couronne et la défense, il faut briser la culture de méfiance qui empêche les ententes avant le procès. Et pour les juges, il faut resserrer le contrôle sur les remises de dossiers ou la durée de présentation de la preuve, et siéger plus souvent.

Ce virage a déjà commencé depuis l'arrêt Jordan, mais il doit s'accélérer.