À maintes reprises au printemps, le gouverneur de la Banque d'Angleterre Mark Carney a prévenu les Britanniques qu'un vote pour le Brexit entraînerait sans doute une récession technique au Royaume-Uni.

Avec cran et audace pour les uns, myopie et repli sur soi pour d'autres, les sujets de Sa Gracieuse Majesté Élisabeth II ont choisi le 23 juin de quitter l'Union européenne.

M. Carney s'est voulu rassurant dans la foulée du vote historique. Dès le lendemain, il a souligné que la Banque était disposée à prendre toutes les mesures adéquates pour limiter les dégâts.

Dès juillet, lui et les huit autres membres du Comité de politique monétaire (CPM) de la Banque ont annoncé que le taux directeur serait abaissé incessamment puisque le Royaume-Uni a choisi de « changer de régime », « ce qui change considérablement la perspective économique ».

Jeudi, le CPM a décidé à l'unanimité de diminuer le taux directeur de 25 centièmes, à 0,25 %, son creux historique. Il n'avait pas bougé depuis mars 2009.

Néanmoins, M. Carney a réussi à étonner les marchés financiers par de nouvelles initiatives de détente quantitative (DQ) de grande envergure.

Il y en a trois qui vont gonfler le bilan de la Banque de 170 milliards de livres, l'équivalent de 291 milliards de dollars canadiens, par la création de réserves équivalentes.

La Banque ajoute d'abord 60 milliards de livres au programme existant de 375 milliards d'achats d'obligations du Trésor britannique (gilts). Créé en 2009, ce programme était saturé depuis plusieurs années.

Pareille initiative était attendue par la moitié des prévisionnistes sondés par Bloomberg, mais elle a suscité trois dissensions au sein du CPM. Les achats d'obligations d'État visent à diminuer leur rendement sur le marché obligataire. Ainsi, on espère réduire aussi les taux sur les autres types d'obligations fixés à partir de ceux des gilts pour faciliter le crédit.

On lance aussi un programme de 10 milliards de livres consacré à l'achat d'obligations d'entreprises non financières. Au CPM, cela a entraîné une voix dissidente.

Enfin, on crée une nouvelle initiative de 100 milliards de livres pour le financement à court terme des banques à un taux près du taux directeur. On veut ainsi s'assurer que les institutions jouent leur rôle de courroie de transmission de la politique monétaire en refilant aux emprunteurs la baisse du taux directeur, sans trop pénaliser les déposants qui ont déjà un rendement quasi nul sur leurs épargnes.

Il s'agit là d'une mesure originale pour éviter que les institutions financières parquent leurs réserves excédentaires à la banque centrale, comme c'est arrivé avec les initiatives de DQ lancées par la Réserve fédérale américaine, entre 2009 et 2014.

Les marchés financiers ont réagi à ces annonces-surprises : la Bourse a grimpé, tandis que la livre sterling a reculé face à la plupart des devises. Mercredi, elle s'échangeait contre 1,7440 dollar canadien. Jeudi, c'était 1,7116.

La Banque a aussi indiqué qu'une majorité des membres du CPM sont disposés à abaisser tout près de zéro le taux directeur en novembre, si nécessaire. Un taux négatif, comme au Japon, en zone euro, en Suisse, en Suède ou au Danemark, est toutefois exclu.

Les voix dissidentes jugent qu'il n'y a pas encore assez d'indicateurs économiques pour sortir tout de suite l'artillerie lourde.

C'est sans doute aussi ce que croit le chancelier de l'échiquier (l'équivalent du ministre des Finances) Philip Hammond, peu pressé de lancer un plan de relance budgétaire d'ici l'automne, même si M. Carney lui enjoint de le faire.

M. Hammond appartient au gouvernement de Theresa May, favorable au Brexit. Il lui est donc difficile de reconnaître le choc économique que subit déjà le Royaume-Uni, selon la Banque d'Angleterre.

Les indicateurs économiques publiés jusqu'ici sont pourtant autant de signaux d'alerte : les indices des décideurs d'achat (PMI) de la fabrication, de la construction et des services sont tous passés sous la barre de 50. C'est le point de bascule entre croissance et contraction. La confiance des consommateurs est aussi fortement à la baisse.

La Banque d'Angleterre estime que le train de mesures annoncées jeudi permettra sans doute d'éviter une récession au royaume.

N'empêche. La prévision de croissance économique de 2017 est revue fortement à la baisse : de 2,3 % en mai, elle est désormais estimée à 0,8 %. Celle de 2018 est ramenée de 2,3 % à 1,8 %. Il s'agit des révisions les plus importantes en 23 ans.

M. Carney et son équipe reconnaissent que la baisse de la livre générera de l'inflation qui va dépasser la cible de 2 % au cours de la prochaine année. À tout prendre, c'est un moindre mal que de laisser s'enliser l'économie avec, à la clé, un risque de désinflation dure à endiguer.