Les changements au processus de nomination des juges de la Cour suprême et l'obligation pour ceux-ci d'être bilingues alimentent les débats depuis des années à Ottawa, mais voilà que Justin Trudeau vient de régler la question en deux coups de cuillère à pot, sans même sortir de ses vacances.

Ainsi, les juges du plus haut tribunal du pays seront dorénavant présélectionnés par un comité indépendant (mais tout de même nommés par le premier ministre à partir d'une courte liste de candidats), les avocats et juges qualifiés pourront eux-mêmes poser leur candidature, les députés pourront interroger la ministre de la Justice et même les futurs juges, il n'y aura plus nécessairement de place réservée pour un juge des provinces de l'Atlantique et les juges devront être « effectivement bilingues ».

Cette réforme est majeure, et même si elle ne changera rien dans la vie quotidienne des Canadiens, il s'agit, pour une entité aussi solennelle que la Cour suprême, d'une petite révolution.

Justin Trudeau a mis fin aux débats en annonçant sa réforme mardi matin dans une lettre ouverte publiée par les principaux journaux du pays. Et voilà le travail ! C'est pas plus compliqué que ça. Après tout, il n'y a rien comme la période estivale (et des partis de l'opposition mal en point) pour expédier les affaires courantes sans trop de contrecoups.

Mercredi, le gouvernement libéral a officiellement lancé la commission d'enquête sur les femmes autochtones assassinées ou disparues, un autre engagement électoral majeur. Une commission au mandat large et ambitieux, doté d'un budget de plus de 50 millions (qui augmentera au fil du temps aussi sûrement qu'il fera froid l'hiver prochain) et d'un échéancier très long (qui sera vraisemblablement repoussé).

Il y a quelques jours, M. Trudeau a triomphé comme une véritable rock star à la marche de la fierté gaie à Vancouver (il remettra ça sous peu à Montréal), et il a prévenu les premiers ministres des provinces, par l'entremise d'une entrevue à CBC, qu'il imposera fort probablement une taxe sur le carbone.

Malgré cette hyperactivité estivale, le jeune premier ministre trouve encore le temps de passer de bons moments « personnels » (c'est comme ça que c'est écrit dans son agenda officiel) avec sa famille. On aurait pu penser qu'il a travaillé de longues heures au bureau la semaine dernière pour préparer toutes ces réformes et annonces. Et pourtant, non. La semaine dernière, Justin Trudeau a été surpris par une famille de Scarborough, en bedaine dans une forêt de Gatineau, où il visitait une grotte avec sa femme, Sophie Grégoire, et deux de leurs enfants.

On a déjà vu Jean Chrétien en ski nautique ou Brian Mulroney à la pêche, et Stephen Harper disait qu'il aimait bien courir après les ours dans cette même région de Gatineau, mais un premier ministre en bedaine dans une grotte, ça, c'est une première ! Justin Trudeau a même pris un égoportrait - en bedaine - avec un jeune garçon visiblement éberlué de tomber sur le premier ministre dans un tel endroit et dans une telle tenue.

On ne pourra pas accuser Justin Trudeau de ne pas remplir ses engagements électoraux. Toutefois, l'écart apparent entre le sérieux de ces engagements et une certaine légèreté dans l'attitude du premier ministre frappe et surprend.

On aurait pu croire que le nouveau gouvernement aurait voulu débattre de la réforme du processus de nomination des juges à la Chambre des communes, en session parlementaire, et non pas l'annoncer le 2 août, en pleine canicule et alors que des millions de Canadiens sont en vacances.

Idem pour la commission sur les femmes autochtones et pour le projet de taxe sur le carbone.

Dans le fond, M. Trudeau fait ce que tous ses prédécesseurs (à la tête de gouvernements majoritaires) ont fait avant lui : il profite (il abuse, diront certains) du pouvoir quasi absolu que procure une majorité aux Communes pour passer ses réformes sans s'embarrasser des partis de l'opposition. Stephen Harper faisait des annonces dans des Tim Hortons et des mises à jour économiques dans des usines de pièces d'auto, Justin Trudeau envoie des lettres aux journaux pour expliquer ses réformes pendant qu'il visite des grottes en bedaine avec sa famille. Avec Justin Trudeau, c'est le style qui détonne.

On peut comprendre les conservateurs d'être très inquiets de la façon dont le gouvernement Trudeau orchestrera les changements au mode de scrutin. Ou les lois décriminalisant le cannabis. Ou les dossiers de pipelines controversés.

Tant que la longue et intense lune de miel entre M. Trudeau et les électeurs se poursuivra, on ne lui tiendra pas trop rigueur de la légèreté avec laquelle il semble parfois diriger le pays. Tant, surtout, que les partis de l'opposition seront désorganisés, il jouera seul sur la grande patinoire politique fédérale.

Les conservateurs et les néo-démocrates sont à la recherche d'un nouveau chef dans des courses à la direction mornes et, à ce jour, inintéressantes et même presque clandestines. Les choses vont bouger un peu chez les conservateurs, qui ont annoncé la tenue de cinq débats à l'automne et l'hiver prochain, mais pour le moment, il n'y a guère que Maxime Bernier qui s'active.

Chez les néo-démocrates, la seule candidate annoncée à ce jour, Cheri DiNovo, s'est désistée mardi pour des raisons de santé. Si ça continue, bien des néo-démocrates regretteront d'avoir montré la porte à Thomas Mulcair.

Pour le moment, les rares critiques contre le gouvernement Trudeau viennent surtout des chroniqueurs du ROC d'allégeance conservatrice, comme cette columnist du National Post qui a écrit mercredi que Justin Trudeau veut des juges bilingues parce qu'« il a eu la chance de grandir dans une famille bilingue » et d'apprendre le français sans effort.

Pas de doute, Justin Trudeau peut continuer de profiter de l'été en toute quiétude...

Photo Ben Nelms, archives Reuters

Il y a quelques jours, Justin Trudeau a triomphé comme une véritable rock star à la marche de la fierté gaie à Vancouver.