Quand Pierre Karl Péladeau a fait le saut en politique active aux côtés de Pauline Marois, les troupes souverainistes se sont réjouies de son arrivée en croyant que l'adhésion de ce leader du milieu des affaires créerait un mouvement d'entraînement dans ce monde en général réfractaire à l'indépendance.

Ce n'est pas arrivé. Mais le Parti québécois pourra peut-être, dans les années à venir, trouver une autre façon de séduire Québec inc. Si vous êtes un Québécois francophone propriétaire d'entreprise, que vous êtes un peu fatigué, et que vous songez à vendre votre entreprise, vous auriez tout intérêt à voter pour le PQ. Parce que la transaction sera pas mal plus payante si M. Péladeau devient premier ministre !

Évidemment, je plaisante. Mais pas tant que ça. Le thème économique que le chef péquiste aborde le plus, celui qui revient le plus souvent dans sa page Facebook, c'est le départ des sièges sociaux et surtout le rôle accru que devrait jouer la Caisse de dépôt et placement pour empêcher ces départs. Intervention après intervention, il répète que la Caisse devrait disposer de ressources pour cela et mettre plus d'argent sur la table pour contrer ces ventes d'entreprises à des intérêts étrangers, ce qui inclut évidemment les étrangers du Canada anglais.

Si j'en parle, c'est parce qu'il est revenu à la charge mercredi dernier quand Michael Sabia, le PDG de la Caisse, expliquait en commission parlementaire que son équipe avait participé à deux initiatives pour garder la direction de St-Hubert au Québec - une participation de 40 à 45 % au capital-actions et un soutien à une offre provenant d'un acheteur québécois, le groupe MTY - avant de découvrir que St-Hubert avait choisi l'offre du groupe ontarien Cara. M. Péladeau a lancé que la Caisse aurait dû faire mieux, en offrant plus que 12 fois les bénéfices, et donc plus que les 537 millions offerts par Cara.

Ce que M. Péladeau proposait en fait, c'est que la Caisse se lance dans une surenchère, paie plus que ce que le marché, St-Hubert et Cara trouvaient raisonnable.

Qu'elle paie plus cher sans pouvoir profiter, comme Cara, des synergies rendues possibles par la fusion des deux entreprises. Ce n'est pas ce que j'appellerais de la bonne « business », et encore moins une bonne façon de faire bien fructifier les épargnes de nos retraites.

Il s'agit ni plus ni moins que d'une prime au patrimoine qui introduirait de coûteux effets pervers. On imagine sans peine la dynamique que cela créerait pour d'autres entreprises. Vous voulez vendre votre entreprise et vous êtes un membre en bonne et due forme de Québec inc., de préférence francophone ? Faites un peu de magasinage, trouvez-vous un acheteur non québécois, et revenez à la Caisse pour lui demander de payer plus cher pour éviter que la direction de l'entreprise ne quitte le Québec.

Ce que M. Péladeau décrit comme un élément d'une stratégie économique est bien davantage une politique de préservation patrimoniale. Moins du nationalisme économique qu'un réflexe « nationaleux », un peu comme si on demandait à la Société Saint-Jean-Baptiste de gérer la Caisse de dépôt.

Dans la plupart des cas, sauf lorsqu'il s'agit d'entreprises stratégiques, les efforts pour empêcher la perte de contrôle d'une entreprise québécoise ne créent pas de valeur ajoutée, pas de richesse, pas d'emplois. Elles peuvent cependant empêcher le départ d'emplois et d'activités structurantes liées à la présence d'un siège social, ce qui est très important. Mais il faut être conscient du fait qu'il s'agit de mesures défensives.

On doit ajouter que dans le cas de St-Hubert, cette fonction noble de siège social est quasi inexistante, ce qui suggère que les réflexes de M. Péladeau sont plus identitaires qu'économiques.

De façon générale, la défense des entreprises québécoises est d'ailleurs à géométrie variable. On s'enflamme pour St-Hubert et Rona, on est prêt à mettre plein d'argent pour bloquer un acheteur venu d'ailleurs, mais dans le cas de Bombardier, on devient chiche, on accuse le gouvernement d'avoir été trop généreux. Pourquoi ? Bombardier n'est pas assez terroir, trop international, trop canadien ?

Il y a des façons plus structurées d'éviter le départ des sièges sociaux. Comme ce que propose le chef de la CAQ, François Legault, soit dresser une liste des 25 ou 30 sièges sociaux les plus importants puis faire le suivi de leurs intentions, pour être prêts à intervenir avec les outils dont nous disposons. Une approche plus ordonnée qui tient compte des enjeux stratégiques.

Mais dans ce dossier, M. Péladeau fait preuve de cohérence. C'est grâce à l'initiative et à l'appui financier de la Caisse que Québecor a pu faire l'acquisition, en l'an 2000, de TVA et de Vidéotron, pour éviter que celles-ci ne passent sous le contrôle étranger de Rogers. Cet investissement a été une catastrophe. Sur papier, au bout de 16 ans, la Caisse est peut-être rentrée dans son argent, mais elle s'est privée durant cette période de rendements de deux ou trois milliards.

Soyons donc magnanimes. Dans sa vision de ce nouveau rôle pour la Caisse de dépôt, Pierre Karl Péladeau fait preuve d'un certain sens du partage, en souhaitant que d'autres entreprises québécoises profitent elles aussi des largesses de la société d'État dont il a lui-même profité.