Soutenir le secteur manufacturier comme entend le faire la ministre du Développement économique Dominique Anglade permettra peut-être de freiner l'érosion de la production en usines.

Il serait fort étonnant cependant que l'initiative réussisse à rétablir la fabrication comme moteur des exportations du Québec et de sa croissance.

Mieux vaut miser sur le secteur des services, qui concentre environ 70 % de l'activité économique et 79,5 % des emplois, contre 14 % et 12 % respectivement pour la production en usines.

Les fabricants canadiens (dont les québécois) souffrent du sous-investissement répété des dernières années. Même quand le huard s'échangeait au pair avec le billet vert, ils n'ont pas saisi l'occasion pour moderniser leurs équipements ou accroître leurs capacités.

Résultat, alors que la demande américaine est plus robuste, ils peuvent difficilement augmenter leur production pour la satisfaire.

Selon le Conference Board du Canada, sur cinq industries bien placées pour tirer parti du nouveau contexte nord-américain, une seule vient du secteur manufacturier : la fabrication de produits alimentaires.

Pour le Québec, c'est en partie une bonne nouvelle. Il s'agit de son segment manufacturier le plus important, devant l'aéronautique et la première transformation des métaux, et, à n'en pas douter, un des plus dynamiques.

Les quatre segments des services susceptibles de tirer parti de la nouvelle conjoncture, selon le Conference Board, sont le transport et les services gouvernementaux, les services commerciaux, informatiques et financiers.

Plusieurs segments manufacturiers sont a priori aussi bien placés : les produits du bois, les produits pharmaceutiques, les produits aérospatiaux, le matériel de transport ferroviaire et naval, le vêtement et les pièces de véhicules automobiles. Autant de segments qui ont par contre diminué leurs capacités depuis une dizaine d'années. Ils auront besoin d'investissements pour augmenter leur clientèle, surtout si les usines fonctionnent déjà à plein régime.

C'est sans doute un tel constat que faisaient la ministre Anglade et Investissement Québec quand ils ont dévoilé leur politique respective, jeudi dernier.

Comme le fait toutefois ressortir une toute récente étude de Desjardins, les exportations de services résistent mieux aux aléas des cycles économiques et des fluctuations du dollar.

En outre, le secteur manufacturier n'a plus les atouts objectifs qui ont permis son essor dans la foulée de l'Accord de libre-échange avec les États-Unis, entré en vigueur en 1989. Le Mexique s'est par la suite joint à l'accord en 1994 et, en 2001, la Chine est devenue membre de l'Organisation mondiale du commerce. Depuis, les deux pays ont supplanté le Canada en tant que premier fournisseur des États-Unis.

Enfin, il ne faut pas nous souhaiter que le dollar canadien revienne à son niveau tout juste au-dessus des 60 cents US, atteint en 2002.

Le secteur des services représente tout juste 16 % de la valeur des exportations canadiennes. Toutefois, cette estimation de Statistique Canada est trompeuse : elle ne tient pas compte de l'apport des services dans la production de biens : le service après-vente, les plans de financement et de marketing, les formules d'abonnement ou de fidélisation, etc.

Comme pour la production manufacturière, le secteur des services souffre d'une carence d'investissements, en particulier en recherche et développement (RD), souligne Jimmy Jean, auteur de l'étude de Desjardins. Il cite notamment les travaux sur les échanges mesurés en valeur ajoutée réalisés par l'Organisation de coopération et de développement économiques. Ils font ressortir les retards pris par le Canada.

Bref, s'il faut encourager l'innovation dans le secteur manufacturier où les perspectives de croissance des exportations sont moins fortes qu'autrefois, cela est d'autant plus vrai pour les services dont ont toujours plus besoin les économies, à mesure qu'elles se développent.

En plus, la RD neutralise en partie les effets néfastes du vieillissement de la population. Il se crée peu d'emplois au Québec depuis un an, et la population active diminue.

Selon les données de l'Enquête sur les postes vacants de Statistique Canada, c'est au Québec que le nombre de postes vacants par rapport à l'ensemble des emplois salariés disponibles est le plus faible au Canada : pour le troisième trimestre 2015 (derniers chiffres disponibles), c'est à peine 1,8 % contre une moyenne canadienne de 2,6 %. Sur 76 régions économiques, les 10 qui avaient les taux d'emplois vacants les plus faibles étaient au Québec. Bref, il y a peu d'emplois à pourvoir, ce qui reflète bien la carence prolongée des investissements.

Et tant qu'à investir, pourquoi ne pas privilégier les industries les plus porteuses, les plus aptes à absorber des gains de productivité, qu'on retrouve surtout dans les services ?