Officiellement, cela s'appelle le budget Leitao, mais dans les faits (et dans les chiffres), il serait plus juste de parler du budget Coiteux, l'omnipotent président du Conseil du trésor.

Les duos ministre des Finances-président du Conseil fonctionnent sous un modus operandi particulier: le premier annonce les revenus de l'État et, dans les bonnes années, les bonbons aux contribuables; le second a plutôt la tâche ingrate de parler des dépenses et, donc, en années de vaches maigres, des compressions. Cela explique sans doute pourquoi le président du Conseil du trésor est généralement plus effacé, moins loquace. C'est vrai à Québec comme à Ottawa.

Le duo Carlos Leitao-Martin Coiteux détonne, toutefois. Je ne me souviens pas d'avoir vu un président du Conseil du trésor aussi volontaire et visible dans les médias.

Le président du Conseil du trésor du gouvernement Couillard adore les micros, il ne se gêne pas pour attraper au bond les questions destinées à son collègue Leitao. Il faut dire que ce dernier avait bien peu de choses à annoncer jeudi, laissant toute la place aux compressions de Martin Coiteux.

Le budget Leitao, ce sera pour l'an prochain, année prévue du retour de l'équilibre budgétaire, peut-être même un petit surplus.

Avant d'en arriver là, toutefois, quelques soubresauts sont à prévoir au Québec. Puisque c'était sa journée, citons Martin Coiteux: «Nous faisons des réformes, nous faisons des changements, nous ne sommes pas un gouvernement sur le pilote automatique.» Façon polie, mais ferme, de dire que ce gouvernement ne reculera pas sur l'atteinte de ses cibles de dépenses, y compris en santé et en éducation et y compris sur le salaire des employés de l'État, ce qui met la table pour des négociations ardues avec les syndicats.

Le mouvement de grève étudiante, plutôt diffus et incertain pour le moment au dire d'anciens dirigeants étudiants, vient peut-être aussi de se trouver des munitions.

Vous ne trouverez pas les mots «compression» ou «coupe» en santé et en éducation dans le budget déposé jeudi, on ne parle que de réduction de la croissance des dépenses, ce qui, dans les faits, se traduira par un manque à gagner important dans ces deux réseaux. Il y a un an, en fin de campagne électorale, les libéraux avaient présenté leur cadre financier dans lequel ils prévoyaient maintenir la croissance annuelle des dépenses à 4 % en santé et à 3,5 % en éducation. Jeudi, le gouvernement libéral a plutôt annoncé que la croissance des dépenses dans ces deux ministères serait d'environ 1 %. Comme les coûts de système excèdent 1 % pour ces deux secteurs (certaines études évaluent à 5 % les coûts de système), il faudra nécessairement couper quelque part, soit dans les structures, soit dans les emplois, soit dans les services, même si le budget précise explicitement que les services aux élèves, notamment, ne seront pas touchés. «En éducation, notre gouvernement vise à ce que chaque enfant au Québec puisse profiter des meilleures ressources pour se développer et s'épanouir. Nos enseignants ont un rôle essentiel à jouer pour bâtir l'avenir de nos enfants», a déclaré le ministre des Finances.

Comment y arriver? Il y a peut-être un indice dans cette réponse vague de (encore lui!) Martin Coiteux: «Personne n'a dit que les coûts de système doivent toujours rester les mêmes...»

En conférence de presse, M. Coiteux s'est timidement engagé à augmenter les dépenses en santé et en éducation une fois l'équilibre budgétaire rétabli, mais d'ici là, les deux réseaux, qui représentent 65 % des dépenses totales du gouvernement, vont traverser une dure période.

Le monde syndical, sans surprise, se mobilise et on me dit que les enseignants, en particulier, sont sur le pied de guerre.

«C'est un budget de boss, eux autres, ils ont le sourire fendu jusqu'aux oreilles!», m'a lancé jeudi matin le président de la CSN, Jacques Létourneau, avant même que je n'entre dans la grande salle du huis clos budgétaire.

Ce budget Coiteux, euh pardon, Leitao sera-t-il l'étincelle d'un autre printemps chaud? Il donne certainement des arguments à ceux qui affirment que nous sommes bel et bien dans un douloureux régime d'austérité.

Les partis de l'opposition, sans surprise non plus, ont taillé en pièces ce budget, même si, sur le fond, le PQ et la CAQ tiennent, comme les libéraux, au déficit zéro dès cette année.

Cela laisse, seul à gauche, Québec solidaire, qui dénonce la précipitation du gouvernement Couillard à recouvrer l'équilibre budgétaire.