N'enterrez pas trop vite le printemps tunisien. Premier pays à avoir renversé une dictature corrompue, lors de la vague de soulèvements arabes de 2011, la Tunisie est aujourd'hui la seule en voie de réussir sa transition démocratique.

L'attentat qui a fait 21 morts et 47 blessés au musée du Bardo, à Tunis, mercredi, fragilise cette progression délicate. Mais il n'en signe pas la fin. Et les Tunisiens pourraient très bien déjouer les intentions apparentes des djihadistes en se serrant les coudes et en évitant le piège de la division.

C'est en tout cas ce que croit Francesco Cavatorta, politologue de l'Université Laval qui étudie les mouvements djihadistes dans cette région de la planète. «Paradoxalement, dit-il, l'attentat pourrait renforcer la volonté des acteurs de la société civile tunisienne à consolider le processus démocratique.» L'impressionnante démonstration d'unité nationale qui a suivi le carnage de cette semaine semble lui donner raison.

Comme dans les autres pays arabes balayés par la tempête des révoltes de 2011, la chute de la dictature tunisienne a ouvert la voie aux mouvements religieux radicaux, longtemps réprimés. Du jour au lendemain, des imams salafistes, convaincus que l'islam doit revenir aux pratiques de l'époque de Mahomet et déterminés à y parvenir par tous les moyens, sont sortis de prison pour entrer dans les mosquées.

Dans les années qui ont suivi, ces extrémistes ont précipité la Libye dans la guerre civile. Ils ont semé la terreur en Irak et en Syrie. En Égypte, la poussée d'une forme d'islamisme plus modérée, celle des Frères musulmans, a ouvert la voie à un coup d'État militaire qui a verrouillé les libertés pour lesquelles s'étaient battus les protestataires de la place Tahrir.

Les islamistes extrêmes ont aussi influencé les lendemains de la révolution tunisienne. Comme j'ai pu le constater lors d'un reportage, il y a deux ans, les mouvements salafistes déstabilisaient la Tunisie, exerçaient des pressions sur ses institutions - pressions qui tournaient parfois à la violence.

Les Tunisiens évoluaient sur un sol mouvant. Pourtant, ils ont réussi à adopter une Constitution qui réconcilie islam et droits des femmes. Une Constitution qui les a conduits vers leurs premières élections démocratiques, en décembre. Et vers la formation d'un gouvernement d'unité nationale, intégrant les principaux courants politiques du pays - y compris les islamistes du parti Ennahda.

Parallèlement, les mouvements extrémistes ont été peu à peu repoussés vers les marges. Ils existent toujours, bien sûr. Ils ont été des centaines, peut-être même 3000, à aller faire le djihad en Syrie.

Mais leurs grandes figures sont disparues de l'espace public. Et le principal mouvement salafiste tunisien, Ansar al-Charia, n'est plus qu'une constellation de groupuscules, selon Francesco Cavatorta.

Certains d'entre eux ont pu rejoindre le groupe État islamique qui revendique l'attentat de mercredi. D'autres ont pu intégrer Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Et la rivalité qui oppose les deux mouvements risque de se répercuter en Tunisie.

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La Tunisie n'est pas immunisée contre l'intégrisme qui a fait basculer d'autres pays de la région. Mais jusqu'à maintenant, malgré les meurtres et les attentats sporadiques, elle a réussi à garder le cap sur la démocratie. Le pays progresse. Et c'est peut-être justement ce qui en fait une cible aussi attrayante pour les djihadistes.

Comme le faisait valoir un éditorial du Monde, hier, l'exemple tunisien prouve que la culture islamique est compatible avec la démocratie. C'est assez pour en faire un «contre modèle à abattre» pour les fanatiques.

Tout n'est pas encore tranquille au pays du jasmin. Les frontières poreuses avec la Libye et l'Algérie l'exposent aux turbulences régionales. L'unité nationale reste fragile. La pauvreté reste toujours aussi criante. Tant que les jeunes adultes feront face à un taux de chômage de 40%, comme c'est le cas aujourd'hui, ils seront tentés par un «job» dans le djihad.

C'est peut-être justement ce qu'avaient en tête les deux auteurs de l'attentat de mercredi, en visant spécifiquement des touristes dans un musée de Tunis.

Survenu à la veille du début de la saison touristique tunisienne, ce massacre risque de faire peur aux voyageurs, et de priver des milliers de Tunisiens d'une indispensable source de revenus. Selon l'implacable logique du pire, plus ils seront pauvres, plus ils seront désespérés. Et plus ils seront désespérés, plus ils seront susceptibles de répondre à l'appel du djihad.

La meilleure manière d'y répondre, c'est encore... de ne pas céder à cette peur. J'irai en Tunisie cet été. I will come to Tunisia this summer. Ces slogans qui déferlent sur les réseaux sociaux depuis mercredi constituent le plus beau pied de nez à ces fous de Dieu qui veulent déstabiliser ce magnifique pays, pour tuer l'unique succès des révoltes de 2011.

Vous cherchez un endroit où passer vos vacances? N'écartez donc pas la Tunisie.