Après le « printemps érable » de 2012, marqué par les carrés rouges, les manifs et les casseroles, le Québec connaîtra-t-il un hiver noir marqué par l'austérité omniprésente et les compressions tous azimuts ?

Le gouvernement Couillard voudrait instaurer un climat maussade et propager la crainte de coupes douloureuses qu'il ne s'y prendrait pas autrement. Il est étonnant de voir avec quelle rapidité le premier ministre a gaspillé le capital de sympathie que lui avait procuré son élection à la tête d'un gouvernement majoritaire, le 7 avril dernier. En fait, Philippe Couillard s'est isolé dans sa tour d'ivoire, lui qui avait pourtant promis la transparence et « un ton et un comportement marqués par le respect et l'écoute »*.

Le retour des manifs et la grogne palpable dans la population, surtout chez les familles de la classe moyenne, après seulement sept mois du nouveau régime, indiquent plutôt que la ligne est coupée entre les Québécois et leur gouvernement.

Le ministre des Finances, Carlos Leitao, présentera demain à Québec une mise à jour économique (un genre de mini-budget) qui pourrait ajouter encore un peu de noir à l'ambiance lugubre qui pèse déjà sur le Québec.

Comment ce gouvernement, qui nourrissait l'ambition de gouverner autrement, a-t-il pu s'isoler aussi vite et retomber dans les vieilles ornières des gouvernements déconnectés de sa population ?

Cela repose, selon moi, sur trois éléments : une mauvaise communication, l'absence de plan et l'improvisation et quelques mensonges ou omissions en campagne électorale.

Problème de communication, d'abord.

Après avoir refusé de parler (ou même d'entendre parler) d'austérité, le gouvernement Couillard a tellement insisté sur le mauvais état des finances publiques et sur le besoin urgent de couper qu'il a imprimé le mot tabou à l'encre rouge dans la tête des Québécois. Les références à l'austérité sont partout. Si ça continue, des bars et des restos vont bientôt proposer des 5 à 7 anti-austérité.

La première erreur des libéraux est l'absence totale de pédagogie dans la démarche. En gros, ils nous disent avec une certaine arrogance qu'ils savent ce qui est bon pour nous, pas la peine de nous l'expliquer et encore moins d'en débattre.

Lucien Bouchard, à la fin des années 90, avait lui aussi mené une opération déficit zéro, qui avait été douloureuse et dont certains effets sont toujours controversés, mais il avait pris soin de mettre les principaux acteurs économiques et sociaux du Québec dans le coup. Il avait aussi expliqué clairement pourquoi il fallait retrouver l'équilibre budgétaire. On gardait les yeux sur l'objectif à moyen terme plutôt que d'angoisser sur toutes les coupes immédiates.

Il faut dire aussi que ce gouvernement souffre d'un manque chronique de sensibilité. Philippe Couillard, qui avait réussi à dégager une certaine chaleur pendant la campagne électorale, semble maintenant retranché dans la froideur des chiffres et le dogme de la réduction de la taille de l'État.

Ses ministres ne font pas beaucoup d'efforts non plus pour démontrer un peu d'empathie. Prenez Gaétan Barrette, qui a réagi la semaine dernière au suicide d'une médecin résidente de 27 ans en disant que la pression est aujourd'hui moindre pour ces jeunes professionnels. Du coup, il a promis de sortir le bâton pour forcer les médecins à prendre plus de patients. L'approche rebrousse-poil, encore une fois. (Au fait, j'ai relu le programme électoral et les engagements du PLQ et je n'ai rien trouvé sur l'augmentation du nombre de patients pris en charge par les médecins...)

La majorité des Québécois sont d'accord avec l'objectif (retour à l'équilibre budgétaire), mais ils voudraient voir et comprendre le plan. Le problème, c'est que le gouvernement n'en a pas. Ou s'il en a un, il est bien caché. C'est comme si un entrepreneur avait stationné son bulldozer sur votre terrain, vous promettant tout un raffut, sans toutefois vous montrer les plans de réaménagement.

Le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, affirmait la semaine dernière que la pensée magique ne suffit plus. Cela vaut aussi pour le gouvernement, qui ne s'est même pas donné la peine, à ce jour, d'expliquer les effets réels de ses décisions.

Parlant de pensée magique, le ministre de l'Éducation, Yves Bolduc, disait encore il y a quelques jours que les cégeps doivent absorber la nouvelle ronde de compressions sans toucher aux services aux élèves. Bien voyons...

Le dernier élément, et non le moindre : les cachotteries électorales. C'est là que le bât blesse le plus sévèrement. Les principales décisions annoncées à ce jour par le gouvernement n'ont pas été présentées et discutées en campagne électorale, ce qui laisse un trou béant dans la légitimité de ce gouvernement.

Sur une note plus légère, j'ai croisé Jean-François Lisée, récemment, au Salon du livre. Le député de Rosemont, qui sera très bientôt papa pour la cinquième fois, me confiait avoir l'intention de « couper le canal famille » après la naissance du petit dernier.

« Ça tombe bien, lui ai-je répondu, il y a plusieurs médecins en face de toi à l'Assemblée nationale et ils sont pas mal bons pour couper dans la famille.

 - Oui, mais je ne leur fais pas confiance pour les points de suture », m'a-t-il répondu, pince-sans-rire.

* Discours d'ouverture de Philippe Couillard, 21 mai 2014.